Prix de thèse AFDT 2020
Découvrez le Prix de thèse AFDT 2020 et les travaux récompensés cette année pour leur contribution remarquable au droit du travail et de la sécurité sociale.
Le jury a décerné le Prix de thèse 2020 à Nicolas Di Camillo et Laurent Willocx
Le prix de thèse 2020 de l’AFDT a été attribué ex aequo à deux lauréats :
Nicolas Di Camillo
« La protection sociale complémentaire au prisme des mobilités professionnelles. Contribution à l’étude des frontières de la protection sociale »
Soutenue en novembre 2019 à l’Université Paris-Nanterre, sous la direction d’Isabelle Vacarie.
Cette thèse explore un champ encore peu étudié : la protection sociale complémentaire, applicable aux salariés, travailleurs indépendants et fonctionnaires. Elle met en lumière la manière dont les évolutions récentes du système peuvent freiner la mobilité professionnelle, en raison d’un modèle de protection de plus en plus structuré autour de l’entreprise. Un travail riche et éclairant sur les enjeux contemporains de la protection sociale.
Laurent Willocx
« Réalisme et rationalités de la législation relative aux ouvriers et à ceux qui les emploient. 1791-1841. Contribution à une critique du droit du travail »
Soutenue en décembre 2019 à l’Université Lyon II, sous la direction de Sylvaine Laulom.
À travers une vaste fresque historique, cette thèse revisite la législation du travail depuis la Révolution française, montrant que l’idée d’un droit du travail “réaliste” précède largement la naissance du droit du travail moderne au XIXᵉ siècle. L’étude interroge ainsi la succession des rationalités juridiques dans cette branche, en mobilisant droit du travail, histoire et sociologie dans une démarche d’une grande érudition.
Prix de la thèse remarquable de l’AFDT
L’AFDT a inauguré en 2020 une distinction destinée à mettre en valeur des travaux particulièrement importants pour la discipline.
Simon Riancho
« Les principes directeurs du droit du travail »
Soutenue en novembre 2019 à l’Université Paris II Panthéon-Assas, sous la direction de Jean-François Cesaro.
Cette thèse propose de repenser l’ensemble du droit du travail à travers l’identification de principes directeurs susceptibles de structurer de manière plus cohérente cette branche du droit. Un travail ambitieux et fondamental pour comprendre les évolutions actuelles de la discipline.
Observation générale du jury
Composition du jury 2020
Le jury était composé de :
- Frédéric Guiomard, Professeur à l’Université Toulouse Capitole (Président du jury)
- Florence Fouvet, Maître de conférences à l’Université Lyon 2
- Nicolas Moizard, Professeur à l’Université de Strasbourg
- Maud Vialettes, Conseillère d’État, Présidente de la 4ᵉ chambre de la section du contentieux du Conseil d’État
- Jean-Paul Teissonnière, Avocat au barreau de Paris
Regards croisés des lauréats et de leurs Directeurs de thèse : Laurent WILLOCX et Sylvaine LAULOM
Une intuition qui mène à un renouvellement de la compréhension de l’essence du droit du travail
Pourquoi ce sujet de thèse ?
Laurent Willocx : Initialement le sujet de thèse était « le réalisme du droit du travail ». Il avait été élaboré par M. Antoine Jeammaud. L’expression « réalisme du droit du travail » avait vocation à rendre compte de certaines caractéristiques classiquement prêtées au droit du travail contemporain, tenant à la prétendue proximité de cette branche du droit avec l’empirie socio-économique. Le choix d’une approche historique est venu très tard.
Sylvaine Laulom : Schématiquement, à l’origine, la recherche devait ainsi porter sur « le réalisme » et sur ses expressions en « droit du travail », le sujet a ensuite évolué. C’est le propre, je crois, de tout travail de thèse : à partir d’une première intuition, la recherche mène à des résultats qui n’étaient et ne pouvaient pas être prévus.
L. W. : Le choix de l’approche historique dérive de ma volonté de croiser le discours sur le réalisme du droit du travail avec le discours sur les rationalités du droit. Ce dernier, inspiré des œuvres de Max Weber et de Michel Foucault, et porté en France par M. Alain Supiot notamment, explique les caractéristiques du droit du travail en les rapportant aux évolutions historiques de la rationalité du droit. A suivre ce discours, le réalisme du droit du travail proviendrait d’une rupture dans la théorie et la pratique du droit, rupture dont le moment 1900 serait le siège : avant ce moment, le droit n’aurait pas été réaliste ; depuis, il le serait devenu. C’est précisément cette idée reçue, largement partagée dans les cercles travaillistes et au-delà, que ma thèse réfute. Je démontre que tout ce qui justifie que l’on parle de réalisme à propos du droit du travail aujourd’hui se retrouve dans celui d’hier. Je fais ainsi revisiter à mon lecteur certains monuments de l’histoire législative française, en les faisant apparaître sous un jour – je l’espère – nouveau. Parmi ces monuments, je retiens en particulier la loi Le Chapelier de 1791, la loi du 22 Germinal an XI et le Code civil de 1804, et enfin la loi de 1841 sur le travail des enfants.
Quel est, selon vous, l’apport de la thèse au droit ?
L. W. : L’apport à la connaissance du droit est double : conceptuel et empirique. En effet, je propose une clarification de la signification de l’expression « réalisme », en distinguant plusieurs concepts. La grille conceptuelle ainsi élaborée est applicable à tout ordre juridique ou segment d’ordre juridique, passé ou présent. De ce point de vue, mon travail intéresse toutes celles et tous ceux qui prennent le droit pour objet de leurs réflexions : juristes privatistes et publicistes, historiens et comparatistes, mais aussi théoriciens, philosophes, sociologues et économistes du droit. Sur le plan
empirique ensuite, ma thèse parle d’une période singulièrement méconnue du droit du travail, la fin du XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe siècle ; elle révèle le réalisme de la législation française relative aux ouvriers et à ceux qui les emploient produite entre 1791 et 1841. Je démontre ainsi que le droit du travail a toujours été réaliste.
S. L. : La thèse démontre en effet le réalisme du droit du travail dès ses origines lointaines à la fin du XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe siècle, avant même qu’une branche « droit du travail » n’ait été créée, aux temps de la révolution et du code civil, soit en des temps supposés être les plus éloignés du réalisme, parce que gouvernés par les idées d’individu abstrait, de la loi générale pour tous et de délibération politique à prétention universelle. La thèse de M. Willocx contribue ainsi non seulement à la connaissance d’une période du droit du travail peu étudiée en général mais également et surtout elle constitue un apport à la compréhension de l’essence du droit du travail contemporain et elle offre ainsi une clef de lecture des orientations actuelles.
Quelles perspectives de recherche cette thèse ouvre-t-elle pour l’avenir ?
S. L. : La plus évidente serait la poursuite de l’analyse historique au-delà de 1841, l’application de la grille conceptuelle sur le réalisme à d’autres domaines, etc. Au-delà, je dirais que les perspectives de recherche ouvertes sont avant tout méthodologiques, car la thèse montre l’immense intérêt d’une approche qui mêle les disciplines, dès lors qu’elles sont maitrisées. Le ou la doctorant.e en droit qui s’engage dans un travail interdisciplinaire sait qu’il ou elle va au-devant de grandes difficultés : difficultés méthodologiques bien sûr, difficultés institutionnelles surtout. Du moins il ou elle le croit. A tort, sans doute, puisque l’AFDT récompense cette année une thèse qui a fait le choix périlleux de l’interdisciplinarité. Je ne peux donc que remercier l’association d’avoir récompensé ce travail original.
L. W. : L’approche interdisciplinaire du droit du travail n’a rien d’une pratique de recherche innovante : elle peut se revendiquer d’une tradition méthodologique qui remonte aux premiers temps de l’étude de la législation industrielle. Elle manifeste un certain réalisme dans l’appréhension savante de cette législation. L’histoire de ce réalisme-là, qui commence là où s’achève ma thèse (autour de 1840, avec la création de la première chaire de législation industrielle au CNAM), reste à écrire.
Regards croisés des lauréats et de leurs Directeurs de thèse : Laurent WILLOCX et Sylvaine LAULOM
Interroger des notions classiquement admises afin de comprendre les évolutions de la protection sociale,
et plus largement du droit social
Pourquoi ce sujet de thèse ?
Nicolas Di Camillo : Ce sujet de thèse est né d’un constat : les études juridiques consacrées à la protection sociale complémentaire ne proposaient pas d’analyse d’ensemble, systémique, concernant à la fois tous les risques sociaux et tous les bénéficiaires. Or, il apparaissait que la protection sociale complémentaire était dotée d’une dynamique propre, et que cette dynamique était de nature à éclairer ce qu’est devenue la protection sociale.
Pour mener à bien une telle entreprise, il fallait cependant trouver un axe, un prisme : ce furent les mobilités professionnelles. En étudiant les conséquences qu’engendre le passage d’un statut professionnel à un autre sur les garanties, il était en effet possible de décrire comment la protection sociale complémentaire a été construite juridiquement. En d’autres mots, les mobilités professionnelles ont servi à mettre le droit à l’épreuve, à éclairer ses constructions.
Isabelle Vacarie : Chacun perçoit, en effet, l’expansion de la protection sociale complémentaire comme les difficultés que même les meilleurs spécialistes rencontrent, pour l’embrasser. Nicolas Di Camillo n’a pas craint de relever le défi en se livrant à un travail de systématisation destiné à mettre en exergue le sens et la portée d’un corpus juridique dispersé dans plusieurs codes, mêlant des techniques empruntées à l’assurance et à l’épargne mais aussi à l’aide sociale, et mettant en concurrence des formes d’institutions aussi contrastées que mutuelles, institutions paritaires de prévoyance, sociétés d’assurances ou établissements financiers.
Au prisme des mobilités professionnelles : l’emploi du pluriel de préférence au singulier n’est pas anodin. Il manifeste son projet de saisir, dans toute leur diversité, les situations que la personne est susceptible de connaître au cours de la vie.
Quel est, selon vous, l’apport de la thèse au droit ?
N.D.C. : Bien connue au travers des complémentaires santé, de la retraite complémentaire ou de l’épargne retraite, la protection sociale complémentaire regroupe aujourd’hui des garanties d’horizons divers.
Cette thèse permet de montrer que s’opère un basculement d’une protection sociale complémentaire construite par catégorie professionnelle vers une protection sociale complémentaire attachée à la personne. Les conséquences d’une mobilité professionnelle en sortent transformées, puisque ces garanties nouvelles peuvent désormais suivre le bénéficiaire dans ses choix de carrière. C’est tout du moins ce qu’une première impression laisse à penser, bien vite tempérée par l’analyse des normes juridiques.
Plus fondamentalement, ce travail a été l’occasion de proposer une définition de la protection sociale complémentaire, puis d’envisager comment ses transformations viennent altérer les frontières traditionnellement admises de la protection sociale ; frontières avec la sécurité sociale bien sûr, mais également avec les assurances ou l’épargne.
I. V. : La démarche suivie s’est révélée féconde d’un double point de vue.
Du côté des catégories pertinentes pour analyser le droit, c’est-à-dire de la protection sociale envisagée comme discipline, dès l’introduction Nicolas Di Camillo souligne le besoin de prendre du recul par rapport aux routines universitaires et aux notions classiquement mobilisées. Ainsi propose-t-il une définition de la protection sociale complémentaire induite d’une lecture de l’ensemble des textes puis, tout au long de la thèse, prend-il soin d’expliciter ce qui doit être considéré. Tout particulièrement la titularité des droits (le dépassement de l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle au profit de la personne) et son incidence sur leur régime (coordination, transférabilité, portabilité ou uniformisation).
S’agissant ensuite de la géographie des protections, c’est-à-dire de la protection sociale envisagée comme branche du droit, la thèse révèle la porosité de ses différentes composantes. Elle contribue également à en préciser les frontières. Jean-Jacques Dupeyroux insistait sur la différence à opérer entre « garanties sociales » (au sens de l’article L. 2221-1 du Code du travail) et « régime » pour délimiter l’empire du droit du travail et celui du droit de la protection sociale. À son tour, la thèse suggère de distinguer parmi les contrats de prévoyance ceux dont la souscription est avantagée par la loi pour différencier le droit de la protection complémentaire « sociale » du droit des assurances ou du droit des produits financiers.
Quelles perspectives de recherche cette thèse ouvre-t-elle pour l’avenir ?
N.D.C. : La première perspective tient au dialogue que la protection sociale complémentaire permet d’instaurer avec les autres disciplines juridiques. La protection sociale complémentaire peut être présentée comme un ensemble, mais son corpus juridique est en réalité réparti entre au moins cinq codes. En ce sens, elle permet d’apporter un éclairage singulier au droit de la sécurité sociale, au droit des assurances ou encore au droit du travail.
Cette thèse permet également de réinterroger le concept de droit social. Si la protection sociale complémentaire est une composante de la protection sociale et donc du droit social, force est de constater que l’écart se creuse entre ce concept, qui met en avant les groupements et la réduction des inégalités sociales, et les règles aujourd’hui applicables. Le recul d’une protection sociale complémentaire basée sur un modèle institutionnel au profit d’un modèle marchand fragmentant les collectifs et les « solidarités » témoigne du creusement de cet écart ; ou plutôt, il met au jour le nécessaire aggiornamento du droit social.
I. V. : J’ajouterai une troisième perspective que suggère le passage d’un modèle institutionnel à un modèle marchand. Les couvertures complémentaires sont désormais appréhendées comme des opérations d’assurance ou encore comme des produits d’épargne qui mettent l’entreprise ou la personne individuellement considérée en situation d’opérer des choix : choix entre les opérations ou produits offerts sur le marché et parmi divers opérateurs ; choix possible également entre différents dispositifs de protection à l’occasion des mobilités. Que signifie cette montée en puissance de la figure de la décision dans un système de protection sociale ?
Regards croisés des lauréats et de leurs Directeurs de thèse : Simon RIANCHO et Jean-François CESARO
Découvrir les normes structurantes d’une matière afin d’en mieux saisir les transformations
Pourquoi ce sujet de thèse ?
Jean-François Cesaro : L’idée de ce sujet est de Monsieur Riancho. L’idée même qu’il puisse y avoir des principes en droit et en droit du travail est un sujet d’interrogation. Leur existence même dans une construction, le droit, qui n’est probablement qu’humaine, était et est encore, incertaine. Toute la difficulté, et donc l’intérêt, consistait à accepter de ne pas les découvrir ou, le cas échéant, de ne pas surestimer leur importance. Le piège de la recherche juridique, et il est considérablement augmenté lorsqu’on parle de « principe », est de tenter de trouver la confirmation d’une réponse que nous avons déjà dans les éléments du droit positif. Il me semblait que Monsieur Riancho, armé d’un master en droit privé général et d’un master en droit social général, était susceptible d’échapper à ces dangers pour conduire une recherche honnête. A l’orée d’une thèse il y a au moins autant de curiosité, pour un directeur, pour le sujet que pour celui qui va y travailler.
Simon Riancho : La référence aux principes est fréquente en droit. Au sein de cette vaste catégorie juridique – qui n’est pas parfaitement homogène –, une place particulière doit être faite aux principes qualifiés de directeurs. Après leur émergence au sein des matières processuelles, et en premier lieu en procédure civile, ceux-ci se développent dans bien d’autres branches du droit.
Lorsqu’il y est fait référence, les principes directeurs témoignent d’un effort de systématisation, de rationalisation de la matière à laquelle ils se rapportent.
Or, le droit du travail est fréquemment perçu comme une matière désorganisée, toujours en mouvement, notamment du fait de sa forte perméabilité aux enjeux politiques.
Existe donc un paradoxe lié à la confrontation du droit du travail et de la référence aux principes directeurs. En a découlé une question, à l’origine de ce travail de recherche : celle de savoir s’il est possible d’ordonner le droit du travail, à partir de principes directeurs. Le cas échéant, quelle serait l’utilité de ces principes ? À l’inverse, si l’exercice s’avérait vain, que signifierait l’impossibilité de structurer cette matière à l’aune de tels principes ?
Quel est, selon vous, l’apport de la thèse au droit ?
J.F. C. : Je crois que la thèse comporte deux apports, l’un immédiatement visible, l’autre qui requiert davantage d’efforts.
Le premier, évident, est de montrer la structure du droit du travail. Comme une radiographie de l’ossature de notre discipline. De manière ramassée (3+13) le lecteur – expert ou non – y verra les idées principales du droit du travail. Ils pourront susciter, en particulier chez ceux qui sont instruits de la matière, une curieuse familiarité – pour certains peut-être un sentiment d’évidence. C’est là, me semble-t-il, une grande force de cette thèse, montrer les gonds autour desquels s’articulent les raisonnements en droit du travail : ils n’intéressent pas autant que les résultats techniques ou les arguments qui emportent la conviction, mais reçoivent et exercent une orientation sur le droit du travail.
Le second apport, moins évident, car il requiert un plongeon plus sérieux dans la thèse, est d’avoir montré la « vie » des principes – comment ils apparaissent, la manière dont ils interagissent et leur déclin. L’intérêt porte aussi, dès lors qu’on admet qu’ils existent, sur leur usage pour répondre à des cas difficiles. Ce dernier point étant le plus discuté : un principe s’il est déduit du droit positif peut-il aussi influer sur lui ?
S. R. : A l’analyse, les principes directeurs recouvrent en droit positif des objets variés. Le premier apport de la thèse consiste donc à avoir élaboré un concept de principe directeur, en distinguant des principes directeurs cadres de principes directeurs d’application. Et, qu’ils soient cadres ou d’application, les principes directeurs sont les normes structurantes d’une matière. Ils permettent d’ordonner la création et l’application des règles. Ce sont aussi les points d’ancrage des débats et controverses.
Une fois le concept de principe directeur élaboré, le second apport de la thèse est d’avoir analysé à son aune le droit du travail. Seize principes directeurs y ont été décelés : Treize principes d’application découlent des trois principes cadres que sont la direction institutionnelle, la participation collective et la sécurité individuelle.
Par exemple, le principe-cadre de sécurité individuelle se concrétise notamment par le principe d’intégrité physique et morale des salariés, et les récentes décisions qui ont étendu la possibilité pour les salariés de voir réparer leur préjudice d’anxiété, ont été de nouvelles illustrations de ces principes. Aujourd’hui, la problématique tenant à l’engagement de la responsabilité de l’employeur, face au risque que représente le virus Covid-19, s’y rattache également.
D’un point de vue substantiel, les principes directeurs renvoient à des éléments connus du juriste en droit du travail, tels que la sécurité, la participation, la hiérarchie, la loyauté, ou encore l’égalité. Ce qu’il y a d’original, toutefois, c’est de déceler une armature qui tient les normes entre elles, et par là le droit du travail en son ensemble. Il y a une structure logique sous-jacente, invisible au premier abord lorsque le juriste fait face à l’amas de normes qui caractérise la matière, mais qui est bel et bien là.
Quelles perspectives de recherche cette thèse ouvre-t-elle pour l’avenir ?
J.F. C. : La dispute, évidemment. C’est le sort heureux d’un travail de recherche, la discussion de la notion de principe, le choix de leur formulation, la structure des principes (cadre/application)… Nous verrons aussi quel usage dans la construction du droit pourra être fait de la construction proposée. C’est aussi la projection de cette grille d’analyse en dehors du champ disciplinaire du droit du travail qui pourrait être envisagée en se demandant, par exemple, si les principes dégagés dans cette thèse peuvent s’appliquer à toutes les activités laborieuses humaines.
S. R. : D’abord, le concept de principe directeur développé dans la thèse pourrait être exploité en dehors de cette discipline, afin d’ordonner d’autres champs juridiques. Cela, d’autant plus qu’est énoncée dans la thèse une méthode explicitant la mise au jour de ces principes.
Ensuite, et concernant plus précisément les principes directeurs du droit du travail, leur fonction première est de nature descriptive. Ils servent de repères au juriste, afin de lui permettre d’appréhender l’état du droit à un instant T, mais également d’en observer les transformations. En effet, les principes directeurs sont en interaction, et rendent compte des mouvements affectant le droit du travail. Par exemple, le principe-cadre de participation collective, qui témoigne de l’existence d’un collectif de salariés participant à l’organisation de l’entreprise, tend à se développer. Et l’analyse montre que ce développement a fait perdre au principe de faveur sa qualité de principe directeur du droit du travail.
Dans leurs analyses, les juristes « travaillistes » pourraient ainsi prendre appui sur les principes directeurs, comme les « processualistes » évoquent le principe du contradictoire, et les « contractualistes » la liberté contractuelle ou la bonne foi.
Les principes directeurs, en tant que repères, peuvent également servir la comparaison des droits. Les normes supranationales (de l’Organisation Internationale du Travail, de l’Union Européenne ou du Conseil de l’Europe) et les autres droits nationaux, peuvent aussi être structurés à partir de principes directeurs. Ces derniers facilitent l’appréhension de ces ensembles normatifs, et rendent compte de similitudes ou de divergences entre les droits. Semblerait donc opportun le partage d’un concept de principe directeur entre les juristes, rendant plus accessibles les divers modèles normatifs. Ainsi, il y a là un instrument qui pourrait être propice au développement du droit comparé.
Enfin, les principes directeurs peuvent servir la construction du droit. La connaissance de la structuration normative qu’ils permettent peut influer sur le raisonnement des juristes.
Leur exploitation est spécialement intéressante pour les cas dits difficiles, lorsqu’existent des lacunes. Voici le principe directeur de finalité : il induit que la direction de l’entreprise doit être exercée conformément à l’intérêt de l’entreprise, qui ne se réduit ni à l’intérêt de l’employeur, ni à celui des salariés. Ce principe peut éclairer les conditions de conclusion d’un accord de performance collective, permettant notamment de modifier à la baisse la rémunération. En effet, le législateur conditionne la signature d’un tel accord à la preuve de nécessités liées au bon fonctionnement de l’entreprise. A l’encontre d’une interprétation large qui semble majoritaire, le principe de finalité plaide pour que ces nécessités ne recouvrent qu’un besoin impératif, témoignant de la prise en compte de l’intérêt de l’entreprise en son ensemble.
Les principes directeurs pourraient également servir la création normative hors salariat, en ce qu’il est possible de les « projeter » sur d’autres relations de travail. Ainsi, il pourrait être pris appui sur les principes directeurs du droit du travail pour structurer la réflexion tenant à l’élaboration d’un régime juridique applicable aux travailleurs utilisant les plateformes de mise en relation par voie électronique.
Ce ne sont là que deux exemples reflétant l’utilité constructive des principes directeurs, mais d’autres sont développés dans la thèse, et de nombreuses propositions pourraient encore émerger en pensant le droit du travail au prisme des principes directeurs.
En définitive, si au premier abord les principes directeurs peuvent sembler connus, c’est là une fausse familiarité qui ne doit pas tromper. Le droit du travail n’avait jusqu’alors jamais été présenté comme prenant appui sur un ensemble restreint de normes, qualifiées de principes directeurs, aux usages précisément déterminés.