Prix de thèse AFDT 2021
Découvrez le Prix de thèse AFDT 2021 et les travaux récompensés cette année pour leur contribution remarquable au droit du travail et de la sécurité sociale.
Le jury a décerné le Prix de thèse 2023 à Hélène Cavat
Le prix de thèse 2021 de l’AFDT a été attribué à :
Hélène Cavat
« Le droit des réorganisations. Étude de droit du travail »,
soutenue en décembre 2020, sous la direction de Pascal Lokiec.
Sa thèse clarifie la notion de réorganisation et met en lumière le passage d’un droit du licenciement pour motif économique à un véritable droit des réorganisations. Porté par une plume vigoureuse et élégante, ce travail se distingue autant par la force de son hypothèse que par la finesse de son analyse jurisprudentielle. L’étude approfondie des accords de performance collective en fait également une référence pour comprendre les transformations contemporaines de l’entreprise.
Prix de la thèse remarquable de l’AFDT
Deux thèses ont été distinguées cette année :
Baptiste Delmas
« La compétence universelle du juge en droit du travail »,
Soutenue en novembre 2020 à l’Université de Bordeaux, en cotutelle avec l’Université Laval, sous la direction d’Isabelle Daugareilh et Martin Dumas.
Fondée sur une transposition stimulante d’une notion issue du droit pénal, cette thèse explore la possibilité d’instaurer une compétence universelle en droit du travail pour les délits commis par des entreprises transnationales. Très érudite, nourrie de droit comparé et international, elle propose une réflexion innovante qui intéressera tous les spécialistes du droit social international.
Lou Thomas
« La défense de l’intérêt collectif en droit du travail »,
soutenue en décembre 2020 à l’Université Paris-Nanterre, sous la direction de Cyril Wolmark.
Cette recherche propose un état des lieux approfondi de la notion d’intérêt collectif, concept clé du droit du travail. Elle montre comment cette notion s’est renouvelée avec la montée en puissance des accords collectifs au niveau de l’entreprise. Solide et rigoureux, ce travail est appelé à devenir une référence sur le sujet.
Observation générale du jury
Composition du jury 2021
Le jury était composé de :
- Frédéric Guiomard, Professeur à l’Université Toulouse Capitole (Président du jury)
- Florence Fouvet, Maître de conférences à l’Université Lyon 2
- Nicolas Moizard, Professeur à l’Université de Strasbourg
- Maud Vialettes, Conseillère d’État, Présidente de la 4ᵉ chambre de la section du contentieux du Conseil d’État
- Jean-Paul Teissonnière, Avocat au barreau de Paris
Entretien avec Hélène CAVAT
Le droit des réorganisations, Etude de droit du travail
Pourquoi ce sujet de thèse ?
H. C. : Ce travail est parti d’un constat. La réglementation des pratiques de réorganisation d’entreprise a fait l’objet, ces dernières décennies, de transformations considérables. En particulier sous l’effet de l’essor de la négociation collective. Ses mécanismes cardinaux ont été profondément reconfigurés – rôle du juge judiciaire, intervention des pouvoirs publics, implication des organisations syndicales, poids de la norme conventionnelle… La dernière séquence, ouverte par la loi de sécurisation de l’emploi en 2013 et culminant avec les ordonnances du 22 septembre 2017, dénote une accélération de ce mouvement et cristallise de nouveaux équilibres auxquels il convenait de donner sens.
C’est ainsi que la réflexion a conduit, dans des échanges avec M. Antoine Lyon-Caen, à formuler l’hypothèse de l’émergence d’un « droit des réorganisations ». Pour ce faire, il est apparu nécessaire de saisir directement la mise en cause collective des conditions de travail ou d’emploi comme opération en tant que telle – ou « réorganisation » – et non comme simple incidence, perspective à laquelle présidait l’usage de la notion de « restructuration ». L’angle d’analyse adopté permet de rendre compte d’un mouvement. À l’origine, le droit du licenciement pour motif – était un ensemble structurant. Doté d’une force d’attraction, il soumettait à ses règles les suppressions d’emploi mais aussi les modifications du contrat de travail pourvu qu’elles aient un motif économique. Or, depuis les années 1990, on assiste à l’érosion de ce régime. De plus en plus de réorganisations lui sont soustraites, par la création de régimes concurrents : plans de départs volontaires, ruptures conventionnelles, plans de sauvegarde de l’emploi négociés et autres accords de compétitivité dont l’accord de performance collective est la dernière figure. De la pluralité de ces régimes émerge dès lors la catégorie de « réorganisation » – et non l’inverse.
Avec un rythme accru ces dernières années, ces régimes se sont consolidés au point de consacrer une négociation de l’organisation sociale de l’entreprise, qui se pare des atours de la gestion courante. Toutefois la frontière entre réglementation de la gestion courante et droit de crise n’est pas étanche. Il convenait donc de concevoir le droit des réorganisations comme un mouvement à l’œuvre, une hybridation entre deux pôles : un régime du licenciement pour motif économique infléchi et des régimes concurrents affranchis.
Pascal Lokiec : Hélène Cavat a choisi ce sujet à la sortie de son master 2, à l’époque dirigé par Antoine Lyon-Caen. On était à une époque où la négociation collective de gestion prenait de l’ampleur, mais pas encore celle que l’on connait aujourd’hui avec un éventail important de dispositifs, notamment les tout récents accords de performance collective et rupture conventionnelle collective. Ce sujet était d’autant plus important qu’on assistait à un renversement progressif de perspective, avec un reflux du droit du licenciement pour motif économique. Depuis le début des années 1990, le droit du travail attirait vers le droit du licenciement économique un maximum de modes de rupture, l’exemple le plus emblématique étant les PDV. Ce mouvement s’est inversé, comme l’illustres les deux dispositifs précités. La rupture du contrat consécutive au refus par le salarié de l’APC échappe à la législation sur le licenciement pour motif économique, et la rupture conventionnelle collective est tout entière conçue comme une alternative au PSE.
Quel est, selon vous, l’apport de la thèse au droit ?
H. C. : La perspective adoptée, au plus près des dispositifs de réorganisation, permet d’une part de proposer une mise en lumière des incertitudes des régimes afférents. Préservant la distance nécessaire à l’interprétation du droit positif, elle propose, d’autre part, une intelligence de la coexistence de ces dispositifs et de leur évolution.
L’enjeu est de proposer une grille d’analyse globale, à partir du jeu d’influences réciproques entre deux pôles. Premier pôle de l’hybridation, le régime du licenciement pour motif économique, reconfiguré à partir de 2013, n’en reste pas moins structurant : le contrôle administratif préalable et le recul de l’exigence de justification qui le caractérisent sont des marqueurs du droit des réorganisations qui émerge. Second pôle, les régimes soustraits au droit du licenciement génèrent, en s’émancipant, des contradictions, que le droit tente de dépasser en ayant recours à des procédés fictionnels, tels que le motif sui generis de licenciement ou encore l’effet impératif renforcé de l’accord collectif. Ces fictions modèlent et confèrent une cohérence au « droit des réorganisations » qui prend forme autour de tendances communes : l’effacement de l’information-consultation, mise au service de la négociation ; l’autorité renforcée de l’accord collectif, y compris à l’encontre du contrat de travail ; ou encore la généralisation du contrôle administratif préalable.,
PL : L’apport est, double, selon moi. Hélène Cavat offre d’abord une vision d’ensemble des évolutions du droit des réorganisations, qu’avait notamment exploré Christine Neau-Leduc dans sa thèse sur la restructuration (LGDJ, biblio. dr. privé, tome 342, 2000). Elle redonne cohérence à toute une série de mouvements, parmi lesquelles l’essor du contrôle administratif, le reflux de l’information-consultation (délais préfixes, mise à l’écart pour la conclusion, la révision ou la dénonciation de accords collectifs, etc) ou encore la confiance de plus en plus grande qu’accorde l’ordre juridique au produit de la négociation collective. L’autre apport de la thèse concerne l’analyse très fine qu’opère Hélène Cavat des accords de performance collective (une thèse dans la thèse en quelque sorte). Une analyse qui s’appuie sur l’étude très précise des accords, auxquels Hélène a pu avoir accès dans le cadre d’une analyse pour le comité d’évaluation des ordonnances.
Quelles perspectives de recherche cette thèse ouvre-t-elle pour l’avenir ?
H. C. : Éprouver l’hypothèse de l’émergence d’un droit des réorganisations a permis d’échafauder un cadre d’analyse qui vise à dépasser la simple juxtaposition des dispositifs pour discerner la dynamique qui préside à leur formation. Dynamique d’érosion sans nul doute, elle se distingue toutefois en ce qu’elle donne naissance à ce nouvel ensemble, ou « droit des réorganisations », sans la compréhension duquel on peine à saisir les logiques des nouveaux dispositifs.
Ainsi, ce cadre d’analyse a notamment permis de procéder, dans la thèse, à la première étude approfondie des accords de performance collective. Consultés avec l’autorisation de la Dares, dans le cadre du comité d’évaluation des ordonnances du 22 septembre 2017 piloté par France Stratégie, l’étude de ces accords aux contours et aux effets sans précédent a permis de confirmer leur déconnexion par rapport au maintien de l’emploi, de signaler de nombreux usages à la limite de la légalité et de pointer des difficultés juridiques majeures.
L’évolution de ces accords dans la pratique, dans des contextes économiques variables, tout comme l’enjeu du contrôle de ces accords, qui reste à construire sur le terrain jurisprudentiel, constituent des perspectives de recherche stimulantes. Plus largement, interroger les régimes de réorganisations de façon articulée, tel que le suggère la perspective défendue dans la thèse, ouvre des pistes pour analyser l’imbrication croissante de ces différents dispositifs, observée dans la pratique.
PL : Cette thèse ouvre de belles perspectives de recherche. Nommée Maitre de conférences à l’Institut du travail de Strasbourg, Hélène Cavat aura l’occasion de développer de nouvelles recherches à l’avenir sur des questions en lien avec sa thèse, mais aussi sur d’autres questions, notamment de droit comparé puisque parmi ses très nombreuses qualités, Hélène Cavat est trilingue français-allemand-anglais.
Entretien avec Baptiste DELMAS
La compétence universelle du juge en droit du travail
Pourquoi ce sujet de thèse ?
Baptiste Delmas : Ce sujet de thèse a émergé lors d’un colloque organisé à Bordeaux en 2013 sur l’accès à la justice sociale en droit international et comparé. La question de l’accès à la justice pour les personnes travaillant au profit d’une entreprise transnationale avait été abordée notamment, mais pas seulement, au regard des règles de compétence juridictionnelle. Cela faisait plusieurs fois que la doctrine travailliste et internationaliste avançait l’idée d’une compétence universelle du juge en droit du travail mais aucune étude n’avait réellement été menée sur le sujet. Nous avons donc décidé, avec Isabelle Daugareilh, de défricher ce terrain. Plus fondamentalement, ce sujet est posé à une date très proche de l’adoption par les Nations-Unies des principes dits « Ruggie » qui marquent une étape importante dans la réflexion – à défaut d’une élaboration – d’un droit contraignant à l’égard des entreprises. Jusque-là, le domaine était principalement occupé par les débats portant sur la responsabilité sociale des entreprises. Il y avait donc un contexte propice à aller voir de plus près, d’une part, les insuffisances des mécanismes RSE à garantir aux travailleurs une réparation en cas de violation de leurs droits et, d’autre part, si la technique de compétence universelle pouvait réellement s’avérer intéressante et praticable sur le long terme ou non.
Quel est, selon vous, l’apport de la thèse au droit ?
Baptiste Delmas : Le principal objectif de cette thèse était de convaincre les lecteurs qu’en tant que technique, la compétence universelle, qui est issue du droit pénal international, a des arguments sérieux à faire valoir dans le champ du droit du travail. J’espère donc que la thèse permettra d’y voir plus clair sur ce qu’est réellement la compétence universelle et sur ce qu’elle n’est pas – une habilitation de tous les juges du monde entier à poursuivre tous les crimes les pires commis dans le monde – et en quoi le contexte juridique et politique qui avait conduit à son émergence au moyen-âge se retrouve sous une autre forme aujourd’hui : le caractère transnational des échanges économiques. La compétence universelle est chargée d’un lourd tribut jusnaturaliste depuis la Renaissance et principalement depuis les écrits de Grotius. J’ai tâché de m’en tenir à une lecture positiviste du droit pour tenter l’analogie avec ce que nous constatons en droit du travail : la très grande difficulté voire l’impossibilité pour les travailleurs d’une entreprise transnationale d’accéder, en l’état actuel du droit international et comparé, à un tribunal. Je pense que la thèse peut également permettre d’avoir une compréhension des dynamiques du moment en droit comparé sur un thème qui évolue très rapidement.
Quelles perspectives de recherche cette thèse ouvre-t-elle pour l’avenir ?
Baptiste Delmas : Je pense que l’on peut envisager plusieurs perspectives de recherche. La première concerne le lien opéré entre droit du travail et droit pénal international. C’est un lien qui n’est pas évident et qui, pourtant, est exploré depuis quelques temps, surtout en droit international et surtout en-dehors de la France. Mais cela peut poser, dans le fond, la question d’un droit international pénal du travail, notamment pour les activités menées par les entreprises dites transnationales. La deuxième piste concerne davantage le droit du travail en lui-même. Une partie de la doctrine canadienne plaide pour l’existence et le développement d’un droit transnational du travail. Difficile à résumer ici, il s’agit, en premier lieu, de tirer les conséquences du constat de la porosité des disciplines juridiques telles que pensées jusqu’ici, à commencer par la distinction droit public/droit privé et, en second lieu, de tirer les conséquences du caractère transnational sûrement irréversible de l’organisation des échanges économiques et de ses conséquences sur le droit du travail. Cela pose – du coup ? – une question d’ordre épistémologique : quel cadre de réflexion retenir pour aborder ces changements ? Le fait d’avoir mené la thèse en-cotutelle avec l’Université Laval à Québec a été très enrichissant sur ce point-là. En abordant la compétence internationale des tribunaux, à la fois au regard des règles de droit international privé mais aussi du droit international public général voire du droit international des investissements, la thèse peut s’inscrire dans cette réflexion.
Entretien avec Lou THOMAS
La défense de l’intérêt collectif en droit du travail
Pourquoi ce sujet de thèse ?
LT : L’intérêt collectif est une notion clé du droit du travail. Parce qu’il est l’un des concepts qui ont permis la prise en compte par le droit de la dimension collective des rapports de travail, il est indissociable des débats qui ont structuré cette branche du droit, depuis les origines jusqu’à aujourd’hui. Il peut, ainsi, être regardé à la fois comme la pierre angulaire du droit syndical et comme le ciment de toute représentation collective. Alors que l’accord collectif fait, au gré des réformes législatives, l’objet d’une promotion sans précédent au sein des sources du droit du travail, il est apparu utile, sinon nécessaire, de se poser à nouveau la question de la place de l’intérêt collectif dans le droit du travail.
Une telle étude supposait toutefois de résoudre la difficulté qui s’attachait au caractère insaisissable de la notion : l’intérêt collectif, en effet, résiste à toutes les tentatives de définition positive et a priori. À cette fin, le choix a été fait de l’appréhender non pas directement, mais à partir de l’action de ses représentants, ou des actes résultant de cette action ; en d’autres termes, de sa défense.
Cyril Wolmark : Ce sujet de thèse faisait d’abord figure de défi, celui de cerner la notion d’intérêt collectif, laquelle file souvent entre les doigts. La force de son auteur est d’avoir su l’étudier à travers un prisme particulier, celui de la défense de l’intérêt collectif. Ce choix permet de dissiper l’obscurité qui entoure généralement l’usage de la notion et de mettre en lumière les ressorts et les évolutions de pans entiers du droit du travail. Ensuite, le corpus premier de la recherche – le droit syndical – méritait une analyse d’ensemble, au moment où l’organisation syndicale devient un acteur privilégié de transformation du droit du travail. Enfin, une autre raison plus académique, dans le prolongement de la précédente, a présidé au choix du sujet : il semblait qu’il manquait un travail de grande ampleur capable de rendre compte des lignes de force du droit des relations professionnelles, aujourd’hui au cœur de toutes les grandes réformes de notre matière.
Quel est, selon vous, l’apport de la thèse au droit ?
LT : La thèse propose une mise en récit, sur le temps long, de la défense de l’intérêt collectif. Elle donne à voir le processus de construction d’une catégorie juridique, sa genèse et ses transformations, en invitant à centrer le regard sur les acteurs qui la font vivre et sur les résultats de leur action. À partir de l’étude de deux prérogatives emblématiques des organisations syndicales : l’action en justice en défense de l’intérêt collectif de la profession et la négociation collective, les grandes lignes d’un modèle de défense de l’intérêt collectif peuvent être dégagées. C’est ensuite ce modèle qui constitue la référence à partir de laquelle les réformes les plus récentes du droit du travail sont analysées. À cette aune, sont étudiés certains des dispositifs juridiques les plus caractéristiques, parmi lesquels les actions de groupe, les nouvelles règles d’articulation des sources du droit du travail ou encore les accords de performance collective.
CW : L’apport de la thèse est double. Le travail de M. Thomas offre au lecteur une grille de lecture générale et féconde du droit des relations professionnelles en reprenant de grandes thématiques de la matière : la nature de la représentation syndicale, l’articulation entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif… Mais ce travail livre également de très fines analyses sur des questions moins explorées. A ce titre, il faut citer notamment, les interrogations liées à l’objet statutaire des syndicats, les passages relatifs à la portée de la restructuration des branches, ainsi que la mise en lumière de l’émergence d’un intérêt collectif du personnel. Au-delà du droit du travail, la recherche offre un terrain sûr pour celle ou celui qui dans d’autres disciplines cherche à saisir des intérêts collectifs. Par l’angle historique choisi, notamment dans la première partie, l’auteur réussit à dévoiler la construction, au sens tant de processus que de résultat, d’un intérêt collectif spécifique et ancien. L’analyse de l’intérêt collectif par M. Thomas offre ainsi non pas un modèle mais plutôt une épreuve pour la compréhension d’autres formes d’agrégations d’intérêts individuels.
Quelles perspectives de recherche cette thèse ouvre-t-elle pour l’avenir ?
LT : L’étude de l’intérêt collectif gagnerait, selon moi, à être prolongée dans plusieurs directions. On peut ici en évoquer deux. Premièrement, elle pourrait s’enrichir d’une réflexion sur l’émergence de nouveaux objets pour la défense de l’intérêt collectif. On peut penser, notamment, à la montée en force de la montée en force de la problématique de la protection de l’environnement. Intégrée par de nombreuses organisations syndicales à leur objet statutaire, elle est progressivement devenue un objet de négociation collective, et fait désormais partie intégrante de la mission de représentation collective des comités sociaux et économiques. Or, cette évolution ne va pas sans accentuer le flou qui entoure la distinction, déjà contestée de longue date, entre l’intérêt collectif professionnel et l’intérêt général.
Deuxièmement, la réflexion engagée dans la thèse pourrait être prolongée en s’extrayant du cadre rigide des frontières nationales. Le droit de l’Union européenne constituerait un champ d’investigation particulièrement fécond pour au moins deux raisons. En premier lieu, l’appréhension, par ce droit, du « dialogue social » et de l’« autonomie des partenaires sociaux » dessine une articulation originale entre la défense des intérêts collectifs professionnels et la définition de l’intérêt général et offre un intéressant contrepoint aux évolutions de la défense de l’intérêt collectif en droit français. En second lieu, le droit de l’Union européenne contribue à un certain renouvellement des modalités de défense de l’intérêt collectif. En témoigne notamment le développement d’une réglementation européenne sur les actions collectives en justice, qui se trouve à la source de l’introduction des actions de groupe en droit français, dont l’essor devra être observé avec beaucoup d’attention.
CW : A mon sens, la thèse épuise un certain nombre de sujets. Néanmoins, comme tout travail de recherche, elle invite à de nouvelles explorations. La première piste qu’ouvre le travail de M. Thomas conduit à s’interroger sur les critères de la représentativité et sur le lien noué entre l’acquisition de la qualité et le résultat des élections professionnelles. A la lumière des résultats de la thèse, la question se pose de réactiver une conception plus « essentialiste » de la représentativité sans toutefois renouer avec une représentation présumée par affiliation. La thèse ouvre une deuxième piste, celle de la vérification des transformations de la défense de l’intérêt collectif dans le domaine de la sécurité sociale. Si le paritarisme est en perte de vitesse, et ce de longue date, quels sont les effets de la promotion d’une négociation d’entreprise, notamment en matière de protection complémentaire sur la représentation syndicale et sa défense de l’intérêt collectif ? Les réponses à cette interrogation pourraient confirmer tout en les nuançant les résultats de la thèse. La troisième piste, à mon sens, porte sur les différents facteurs de brouillage de la figure de l »intérêt collectif. Comme l’auteur le démontre, l’intérêt collectif se transforme, se dégrade (au sens quasi chimique) au contact d’autres préoccupations. La montée en puissance de nouvelles questions, au premier rang desquels la question environnementale, participe de ce brouillage ; la récente loi climat du 2 août 2021 est emblématique des nouvelles articulations entre intérêt collectif des salariés et Bien commun, et des difficultés qu’elles font naître. S’ouvre là de manière évidente un nouveau champ de recherche où se croisent la conception de l’entreprise et de son intérêt, les politiques publiques, les droits des salariés et la place de leurs représentants.