Regards 5

Un droit du travail de l'urgence ?


L'ETAT D'URGENCE SANITAIRE
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Françoise FAVENNEC-HERY
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Professeur à l'Université Panthéon-Assas
Urgence , urgence sanitaire , état d’urgence sanitaire , l’expression recouvre en réalité une situation de crise spécifique .

L’état d’urgence ici déclaré ne fait pas référence à l’état de siège requérant le concours des forces armées . Il n’est pas non plus assimilable à l’état d’urgence institué le 3 avril 1955 en réponse aux évènements d’ Algérie, permettant au prefet de prévenir des troubles à la sécurité et à l’ordre public ; il n’est pas non plus de la même facture que celui instauré plus récemment en réponse aux émeutes dans les banlieues, aux risques d’attentats , au terrorisme .

Il s’agit d’un état d’urgence sanitaire créé par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 .Elle inscrit dans le code de la santé publique un nouveau dispositif invocable « en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril par sa nature et sa gravité , la santé de la population » . Cet état d’urgence a donc une finalité précise et temporaire : répondre à une épidémie .C’est à cettte aune que doit être appréciée et circonscrite la légalité des décisions prises . 

La loi du 23 mars 2020 permet au 1er ministre de prendre par décret des dispositions limitativement énumérées : confinement , interdiction des rassemblements , réquisitions etc …Elle autorise le gouvernement à adopter par ordonnances des mesures provisoires: une avalanche de textes s’en est suivie dont ceux tenant à l’adaptation du droit du travail , au soutien des entreprises , à l’indemnisation des chômeurs , à l’aménagement des procédures administratives et judiciaires . Emerge ainsi un droit des relations sociales de crise ayant un double objectif : protéger les salariés , accompagner les entreprises .

Un événement sanitaire extérieur et grave , le covid – 19 , contraint le gouvernement à suspendre les règles normales au profit de procédures dérogatoires , à substituer au temps linéaire un temps ponctué par une crise de grande ampleur , à modifier les pouvoirs au sein de l’entreprise , à minorer les risques de faillite des entreprises par une prise en charge substantielle des coûts par l’Etat .
Le chef d’orchestre n’en est ni les partenaires sociaux , ni les parlementaires , mais le gouvernement investi par le législateur d’un pouvoir souverain. L’ordre public si souvent évanescent est ici omniprésent , omnipotent .Temps de crise , droit de crise. 
"L’ordre public si souvent évanescent est ici omniprésent, omnipotent. Temps de crise, droit de crise"
Cet état d’urgence se matérialise tout d’abord par une remise en cause du cadre temporel et géographique de l’entreprise 

La crise vient perturber le temps linéaire. A la gestion routinière de l’entreprise se substitue un mode d’organisation de crise . Le temps quantitatif fait place à un temps qualitatif dont le rythme n’est plus commandé par une organisation interne où prévaut la recherche de la performance .Le temps est dicté de l’extérieur par la situation sanitaire , temps accéléré pour répondre à la crise , temps suspendu pour la neutraliser. 

Le temps accéléré répond à l’urgence ..L’événement sanitaire est brutal et surprenant . Il faut y répondre au plan sanitaire par des mesures immédiates , au plan économique par la diminution des temps de prévenance ( en matière de congés par exemple ) , l’accélération des mesures de prise en charge ( l ’activité partielle) et le déblocage des sources de revenu ( l’épargne salariale ) ….

Mais le temps peut aussi être suspendu .L’événement nécessite une paralysie de la période de confinement .Dans les méandres organisationnels , l’homme tente de gérer les aléas . C’est le but de l’ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire : report de terme et d’échéance ,renvoi des dates d’audience ,suspension des prescriptions légales ou règlementaires , prorogations des mesures d’aide , report des processus électoraux … Sans même évoquer la mise en attente de toutes les réformes en cours . Restera à en préciser les limites.

La crise vient aussi perturber les repères géographiques: Confinement oblige , la séparation du professionnel et du personnel s’assouplit .Le lieu de travail n’est plus l’entreprise mais le domicile et l’encadrement du télétravail est considérablement relaché .Les réunions des CSE peuvent se tenir par télétransmission , les audiences peuvent être dématérialisées .Quant à la sphère personnelle pour ne pas dire intime , elle risque , pour la bonne cause , de s’effacer au bénéfice d’un tracking généralisé .Bien décalé semble ici le RGPD !!! 
"Confinement oblige, la séparation du professionnel et du personnel s’assouplit. Le lieu de travail n’est plus l’entreprise mais le domicile"
L’urgence justifie également une révision des pouvoirs et des engagements

On peut noter , dans certains domaines, une résurgence du pouvoir unilatéral de l’employeur : dans les entreprises relevant de secteurs d’activité particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation , l’employeur peut , au besoin par dérogation aux stipulations conventionnelles , allonger les durées quotidiennes et hebdomadaires maximales de travail , réduire la durée du repos quotidien .On touche au domaine sacralisé de la protection de la santé des salariés consacré par les principes communautaire et constitutionnel .

Dans tout secteur , jours de RTT et utilisation du compte épargne temps peuvent être activés par le chef d’entreprise tandis que l’accord des partenaires sociaux reste nécessaire pour l’utilisation des jours de congés payés pendant le confinement .

Continuité du service public oblige , les autorités judiciaires et administratives font également l’objet d’adaptation :.évolution des autorités compétentes , composition des juridictions, transfert de compétence territoriale sont autant de mesures d’exception pour permettre le maintien de l’activité du secteur public …

Reste un certain flou, en revanche , s’agissant du devenir des engagements contractuels pour l’instant en dehors du champ de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 . Les clauses contractuelles ( et conventionnelles ?) subsistent sauf à invoquer la force majeure de l’article 1218 du C civil .Le coronavirus est il un événement imprévisible , inévitable , échappant au contrôle du débiteur ? Faut – il, comme en Chine , en laisser l’appréciation aux juges ? Ce sera peut être un des effets de la déclaration d’état d’urgence sanitaire que de permettre aux juges, dans l’avenir, de conclure à l’irresponsabilité du débiteur défaillant .

Etat d’urgence sanitaire , pour combien de temps ? Et à son terme , faudra – t – il vraiment restaurer le passé ou conviendra – t – il de tenir compte des leçons de cette parenthèse sanitaire ? 
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