Regards 16

Un droit du travail de l'urgence ?


UN DROIT DU TRAVAIL DE L'URGENCE
 EN ALLEMAGNE
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Manfred WEISS
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Professeur émérite à l'Université de Francfort
L’urgence a conduit, en Allemagne, à réactiver un certain nombre de mécanismes qui ont fait leur preuve lors de précédentes crises, à commencer par l’activité partielle, et à solliciter des dispositifs plus traditionnels tels que ceux régissant le temps de travail. Elle est également à l’origine d’un débat sur la nécessité, ou non, de déroger à ce qui constitue sans doute le cœur du droit allemand du travail : les droits de participation des travailleurs qui font qu’une part essentielle des décisions font l’objet d’un accord au sein du conseil d’établissement.  

1. L’activité partielle

En Allemagne, la réaction à la crise du Coronavirus s‘est principalement construite sur les riches expériences nées de de la crise financière de 2008 / 2009. Le principal instrument a alors été de faciliter l’activité partielle afin d'éviter les licenciements et de maintenir la main-d'œuvre dans l’emploi par des réductions de la durée du travail indemnisées par l’Etat. L'État a en effet compensé la perte de salaires dans une certaine mesure. Cela a très bien fonctionné et a donné à l'économie allemande une bonne longueur d'avance après la crise. L’activité partielle signifie une réduction temporaire du temps de travail habituel d'un certain pourcentage ou jusqu'à zéro. Dans les établissements où un conseil d’établissement existe, elle doit faire l’objet, en vertu des règles de codétermination, d’un accord entre l'employeur et le conseil d’établissement. Grâce à l'esprit de partenariat social, cela ne s'est pas avéré être un problème...  
"Le principal instrument a alors été de faciliter l’activité partielle afin d'éviter les licenciements et de maintenir la main-d'œuvre dans l’emploi par des réductions de la durée du travail indemnisées par l’Etat"
Dans le contexte actuel de la crise du Coronavirus, la loi sur l’activité partielle a été modifiée suite à une procédure législative d’urgence. Les nouvelles règles sont en vigueur depuis le 15 mars 2020. Elles habilitent également le gouvernement fédéral à préciser davantage la loi par décret. Ce pouvoir est limité jusqu'au 31 décembre 2021. Le décret du gouvernement a été publié le 27 mars 2020 et est en vigueur rétroactivement depuis le 1er mars 2020.

Jusqu'à présent, pour obtenir des subventions de l'État, il fallait qu'un tiers des effectifs d'une entreprise soit concerné pendant une courte période. Cette condition préalable a été abaissée à 10 %. Et la possibilité d'obtenir des subventions a été étendue aux travailleurs intérimaires. Selon les nouvelles règles, les salariés sans enfants reçoivent 60 % et ceux avec enfants 67 % du salaire perdu. La durée maximale de ces subventions a été étendue de 12 à 24 mois.

En Allemagne, il existe un système de compte en matière de temps de travail. Cela signifie que si les employés ont enregistré des heures supplémentaires, celles-ci sont conservées dans des comptes de temps de travail qui peuvent être ultérieurement utilisés par les salariés et être compensés en temps libre rémunéré. Jusqu'à présent, ces comptes de temps de travail devaient être utilisés... Ce n'est qu'ensuite qu'il était possible d'obtenir des subventions. Aujourd'hui, cette condition préalable a été supprimée... 

Dans certaines branches et régions, ce niveau de 60 ou 67 % a été relevé par des conventions collectives, auquel cas le complément doit être payé par les entreprises. Cependant, ce complément par les entreprises n’est pas possible de façon systématique et la question de savoir si une telle augmentation doit se faire par le biais de conventions collectives est assez controversée. Les syndicats ont essayé de faire pression sur l'État fédéral pour qu'il augmente le niveau à 90 %. Sans succès. Comme en France, les subventions du chômage partiel ne sont accordées que sur demande, lesquelles sont aujourd’hui très nombreuses. 
Une innovation très importante a été introduite pour la crise du coronavirus: les salariés qui sont en chômage partiel sont néanmoins autorisés à occuper un emploi supplémentaire là où ils sont nécessaires pour combattre l’épidémie (dans les hôpitaux, dans les entreprises où sont produits des articles de protection, etc.). Les rémunérations que les salariés perçoivent pour ces emplois supplémentaires ne sont pas prises en compte pour le paiement du chômage partiel. Il s'agit d'une forte incitation à occuper de tels emplois.  
  
2. Rémunération supplémentaire pour les retraités

Jusqu'à présent, seuls certains groupes de retraités avaient le droit de gagner 6.300 € supplémentaires par an. Tout montant supérieur à ce niveau entraînait une réduction de leur pension. Maintenant, pendant la crise, il est possible de gagner un montant supplémentaire de 44 590 €. Cette mesure est également destinée à encourager les branches qui luttent contre le Coronavirus. Cette mesure prendra fin le 31 décembre 2020.

3. Indemnisation pour perte de salaire

Les parents d'enfants de moins de 12 ans qui ne peuvent pas travailler parce qu'ils doivent s'occuper de leurs enfants en raison de la fermeture des établissements de garde d'enfants et des écoles [et qui, par conséquent, ne peuvent pas travailler], ont droit à une indemnisation par l'État conformément à la loi sur la Protection contre les infections. Toutefois, cela n'est possible qu'après l'utilisation des comptes de temps de travail, si ce dispositif existe dans l’entreprise. 

4. Temps de travail

La loi sur le temps de travail a été modifiée par une habilitation du gouvernement fédéral à édicter par décret des règles spéciales sur le temps de travail pour faire face à des situations d'urgence particulières. Le décret, dont on attend la parution, pourrait se présenter comme suit : il s'appliquera aux salariés qui effectuent un travail de lutte contre le virus (dans les hôpitaux, etc.), en permettant l'extension de la durée maximale quotidienne de travail, en modifiant les règles relatives aux pauses (elles peuvent être réduites à 15 minutes pour un temps de travail de plus de six heures et à 30 minutes pour un temps de travail de plus de 9 heures) ainsi que les règles relatives au travail le dimanche et les jours fériés. Le plus important est que le temps de repos peut être réduit de deux heures. Bien entendu, la période pendant laquelle cela est possible doit être strictement limitée à la période de crise. 

5. Participation des travailleurs

L’Allemagne connait actuellement un débat sur la question de savoir si et dans quelle mesure les outils numériques peuvent et doivent être utilisés par les conseils d’établissements, ainsi que sur l'opportunité de modifier les droits de participation pendant la crise. Il n'y a cependant pas encore de résultat.
"L’Allemagne connait actuellement un débat sur la question de savoir si et dans quelle mesure les outils numériques peuvent et doivent être utilisés par les conseils d’établissements, ainsi que sur l'opportunité de modifier les droits de participation pendant la crise"
D'une part, la discussion porte sur la manière dont les règles de forme et de procédure (présence aux réunions des comités d'entreprise, etc. ) pendant la crise doivent être modifiées pour s'adapter aux modèles numériques. C'est la partie la plus facile. Plus problématique est le fait que des voix conservatrices suggèrent de suspendre des droits spécifiques de codétermination pendant la crise. Cependant, les syndicats et les conseils d’établissement refusent catégoriquement cette proposition. La probabilité qu’ait lieu une suspension des droits de participation est politiquement extrêmement faible. 

6. Subventions pour les entreprises et les indépendants

Même si cela n’a rien à voir avec le droit du travail, on peut ajouter qu'il existe des programmes importants de l'État fédéral et des 16 Länder pour soutenir les entreprises et les travailleurs indépendants par des subventions et des prêts pendant la crise.

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