Prix de thèse NDC

Prix de thèse 2020


Nicolas di Camillo

Nicolas di Camillo: « La protection sociale complémentaire au prisme des mobilités professionnelles. Contribution à l’étude des frontières de la protection sociale », sous la direction d’Isabelle Vacarie, soutenue à l'Université Paris-Nanterre, en novembre 2019  

Regards croisés d'Isabelle Vacarie et Nicolas di Camillo:
Interroger des notions classiquement admises afin de comprendre les évolutions de la protection sociale, 
et plus largement du droit social
Pourquoi ce sujet de thèse ?

Nicolas Di Camillo : Ce sujet de thèse est né d’un constat : les études juridiques consacrées à la protection sociale complémentaire ne proposaient pas d’analyse d’ensemble, systémique, concernant à la fois tous les risques sociaux et tous les bénéficiaires. Or, il apparaissait que la protection sociale complémentaire était dotée d’une dynamique propre, et que cette dynamique était de nature à éclairer ce qu’est devenue la protection sociale.

Pour mener à bien une telle entreprise, il fallait cependant trouver un axe, un prisme : ce furent les mobilités professionnelles. En étudiant les conséquences qu’engendre le passage d’un statut professionnel à un autre sur les garanties, il était en effet possible de décrire comment la protection sociale complémentaire a été construite juridiquement. En d’autres mots, les mobilités professionnelles ont servi à mettre le droit à l’épreuve, à éclairer ses constructions.

Isabelle Vacarie : Chacun perçoit, en effet, l’expansion de la protection sociale complémentaire comme les difficultés que même les meilleurs spécialistes rencontrent, pour l’embrasser. Nicolas Di Camillo n’a pas craint de relever le défi en se livrant à un travail de systématisation destiné à mettre en exergue le sens et la portée d’un corpus juridique dispersé dans plusieurs codes, mêlant des techniques empruntées à l’assurance et à l’épargne mais aussi à l’aide sociale, et mettant en concurrence des formes d’institutions aussi contrastées que mutuelles, institutions paritaires de prévoyance, sociétés d’assurances ou établissements financiers.

Au prisme des mobilités professionnelles : l’emploi du pluriel de préférence au singulier n’est pas anodin. Il manifeste son projet de saisir, dans toute leur diversité, les situations que la personne est susceptible de connaître au cours de la vie.

Quel est, selon vous, l'apport de la thèse au droit ?

N.D.C. : Bien connue au travers des complémentaires santé, de la retraite complémentaire ou de l’épargne retraite, la protection sociale complémentaire regroupe aujourd’hui des garanties d’horizons divers.

Cette thèse permet de montrer que s’opère un basculement d’une protection sociale complémentaire construite par catégorie professionnelle vers une protection sociale complémentaire attachée à la personne. Les conséquences d’une mobilité professionnelle en sortent transformées, puisque ces garanties nouvelles peuvent désormais suivre le bénéficiaire dans ses choix de carrière. C’est tout du moins ce qu’une première impression laisse à penser, bien vite tempérée par l’analyse des normes juridiques.

Plus fondamentalement, ce travail a été l’occasion de proposer une définition de la protection sociale complémentaire, puis d’envisager comment ses transformations viennent altérer les frontières traditionnellement admises de la protection sociale ; frontières avec la sécurité sociale bien sûr, mais également avec les assurances ou l’épargne.

I. V. : La démarche suivie s’est révélée féconde d’un double point de vue. 
Du côté des catégories pertinentes pour analyser le droit, c’est-à-dire de la protection sociale envisagée comme discipline, dès l’introduction Nicolas Di Camillo souligne le besoin de prendre du recul par rapport aux routines universitaires et aux notions classiquement mobilisées. Ainsi propose-t-il une définition de la protection sociale complémentaire induite d’une lecture de l’ensemble des textes puis, tout au long de la thèse, prend-il soin d’expliciter ce qui doit être considéré. Tout particulièrement la titularité des droits (le dépassement de l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle au profit de la personne) et son incidence sur leur régime (coordination, transférabilité, portabilité ou uniformisation).

S’agissant ensuite de la géographie des protections, c’est-à-dire de la protection sociale envisagée comme branche du droit, la thèse révèle la porosité de ses différentes composantes. Elle contribue également à en préciser les frontières. Jean-Jacques Dupeyroux insistait sur la différence à opérer entre « garanties sociales » (au sens de l’article L. 2221-1 du Code du travail) et « régime » pour délimiter l’empire du droit du travail et celui du droit de la protection sociale. À son tour, la thèse suggère de distinguer parmi les contrats de prévoyance ceux dont la souscription est avantagée par la loi pour différencier le droit de la protection complémentaire « sociale » du droit des assurances ou du droit des produits financiers.

Quelles perspectives de recherche cette thèse ouvre-t-elle pour l'avenir ?

N.D.C. : La première perspective tient au dialogue que la protection sociale complémentaire permet d’instaurer avec les autres disciplines juridiques. La protection sociale complémentaire peut être présentée comme un ensemble, mais son corpus juridique est en réalité réparti entre au moins cinq codes. En ce sens, elle permet d’apporter un éclairage singulier au droit de la sécurité sociale, au droit des assurances ou encore au droit du travail.

Cette thèse permet également de réinterroger le concept de droit social. Si la protection sociale complémentaire est une composante de la protection sociale et donc du droit social, force est de constater que l’écart se creuse entre ce concept, qui met en avant les groupements et la réduction des inégalités sociales, et les règles aujourd’hui applicables. Le recul d’une protection sociale complémentaire basée sur un modèle institutionnel au profit d’un modèle marchand fragmentant les collectifs et les « solidarités » témoigne du creusement de cet écart ; ou plutôt, il met au jour le nécessaire aggiornamento du droit social.

I. V. : J’ajouterai une troisième perspective que suggère le passage d’un modèle institutionnel à un modèle marchand. Les couvertures complémentaires sont désormais appréhendées comme des opérations d’assurance ou encore comme des produits d’épargne qui mettent l’entreprise ou la personne individuellement considérée en situation d’opérer des choix : choix entre les opérations ou produits offerts sur le marché et parmi divers opérateurs ; choix possible également entre différents dispositifs de protection à l’occasion des mobilités. Que signifie cette montée en puissance de la figure de la décision dans un système de protection sociale ? 
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