Prix de thèse Cavat

Prix de thèse 2021


Hélène CAVAT


Le droit des réorganisations, Etude de droit du travail
Pourquoi ce sujet de thèse ?

H. C. : Ce travail est parti d’un constat. La réglementation des pratiques de réorganisation d’entreprise a fait l’objet, ces dernières décennies, de transformations considérables. En particulier sous l’effet de l’essor de la négociation collective. Ses mécanismes cardinaux ont été profondément reconfigurés – rôle du juge judiciaire, intervention des pouvoirs publics, implication des organisations syndicales, poids de la norme conventionnelle... La dernière séquence, ouverte par la loi de sécurisation de l’emploi en 2013 et culminant avec les ordonnances du 22 septembre 2017, dénote une accélération de ce mouvement et cristallise de nouveaux équilibres auxquels il convenait de donner sens.

C’est ainsi que la réflexion a conduit, dans des échanges avec M. Antoine Lyon-Caen, à formuler l’hypothèse de l’émergence d’un « droit des réorganisations ». Pour ce faire, il est apparu nécessaire de saisir directement la mise en cause collective des conditions de travail ou d’emploi comme opération en tant que telle – ou « réorganisation » – et non comme simple incidence, perspective à laquelle présidait l’usage de la notion de « restructuration ». L’angle d’analyse adopté permet de rendre compte d’un mouvement. À l’origine, le droit du licenciement pour motif - était un ensemble structurant. Doté d’une force d’attraction, il soumettait à ses règles les suppressions d’emploi mais aussi les modifications du contrat de travail pourvu qu’elles aient un motif économique. Or, depuis les années 1990, on assiste à l’érosion de ce régime. De plus en plus de réorganisations lui sont soustraites, par la création de régimes concurrents : plans de départs volontaires, ruptures conventionnelles, plans de sauvegarde de l’emploi négociés et autres accords de compétitivité dont l’accord de performance collective est la dernière figure. De la pluralité de ces régimes émerge dès lors la catégorie de « réorganisation » – et non l’inverse.

Avec un rythme accru ces dernières années, ces régimes se sont consolidés au point de consacrer une négociation de l’organisation sociale de l’entreprise, qui se pare des atours de la gestion courante. Toutefois la frontière entre réglementation de la gestion courante et droit de crise n’est pas étanche. Il convenait donc de concevoir le droit des réorganisations comme un mouvement à l’œuvre, une hybridation entre deux pôles : un régime du licenciement pour motif économique infléchi et des régimes concurrents affranchis.
 
Pascal Lokiec : Hélène Cavat a choisi ce sujet à la sortie de son master 2, à l’époque dirigé par Antoine Lyon-Caen. On était à une époque où la négociation collective de gestion prenait de l’ampleur, mais pas encore celle que l’on connait aujourd’hui avec un éventail important de dispositifs, notamment les tout récents accords de performance collective et rupture conventionnelle collective. Ce sujet était d’autant plus important qu’on assistait à un renversement progressif de perspective, avec un reflux du droit du licenciement pour motif économique. Depuis le début des années 1990, le droit du travail attirait vers le droit du licenciement économique un maximum de modes de rupture, l’exemple le plus emblématique étant les PDV. Ce mouvement s’est inversé, comme l’illustres les deux dispositifs précités. La rupture du contrat consécutive au refus par le salarié de l’APC échappe à la législation sur le licenciement pour motif économique, et la rupture conventionnelle collective est tout entière conçue comme une alternative au PSE. 

Quel est, selon vous, l'apport de la thèse au droit ?

H. C. : La perspective adoptée, au plus près des dispositifs de réorganisation, permet d’une part de proposer une mise en lumière des incertitudes des régimes afférents. Préservant la distance nécessaire à l’interprétation du droit positif, elle propose, d’autre part, une intelligence de la coexistence de ces dispositifs et de leur évolution.
L’enjeu est de proposer une grille d’analyse globale, à partir du jeu d’influences réciproques entre deux pôles. Premier pôle de l’hybridation, le régime du licenciement pour motif économique, reconfiguré à partir de 2013, n’en reste pas moins structurant : le contrôle administratif préalable et le recul de l’exigence de justification qui le caractérisent sont des marqueurs du droit des réorganisations qui émerge. Second pôle, les régimes soustraits au droit du licenciement génèrent, en s’émancipant, des contradictions, que le droit tente de dépasser en ayant recours à des procédés fictionnels, tels que le motif sui generis de licenciement ou encore l’effet impératif renforcé de l’accord collectif. Ces fictions modèlent et confèrent une cohérence au « droit des réorganisations » qui prend forme autour de tendances communes : l’effacement de l’information-consultation, mise au service de la négociation ; l’autorité renforcée de l’accord collectif, y compris à l’encontre du contrat de travail ; ou encore la généralisation du contrôle administratif préalable., 

PL : L’apport est, double, selon moi. Hélène Cavat offre d’abord une vision d’ensemble des évolutions du droit des réorganisations, qu’avait notamment exploré Christine Neau-Leduc dans sa thèse sur la restructuration (LGDJ, biblio. dr. privé, tome 342, 2000). Elle redonne cohérence à toute une série de mouvements, parmi lesquelles l’essor du contrôle administratif, le reflux de l’information-consultation (délais préfixes, mise à l’écart pour la conclusion, la révision ou la dénonciation de accords collectifs, etc) ou encore la confiance de plus en plus grande qu’accorde l’ordre juridique au produit de la négociation collective. L’autre apport de la thèse concerne l’analyse très fine qu’opère Hélène Cavat des accords de performance collective (une thèse dans la thèse en quelque sorte). Une analyse qui s’appuie sur l’étude très précise des accords, auxquels Hélène a pu avoir accès dans le cadre d’une analyse pour le comité d’évaluation des ordonnances. 

Quelles perspectives de recherche cette thèse ouvre-t-elle pour l'avenir ?

H. C. : Éprouver l’hypothèse de l’émergence d’un droit des réorganisations a permis d’échafauder un cadre d’analyse qui vise à dépasser la simple juxtaposition des dispositifs pour discerner la dynamique qui préside à leur formation. Dynamique d’érosion sans nul doute, elle se distingue toutefois en ce qu’elle donne naissance à ce nouvel ensemble, ou « droit des réorganisations », sans la compréhension duquel on peine à saisir les logiques des nouveaux dispositifs.

Ainsi, ce cadre d’analyse a notamment permis de procéder, dans la thèse, à la première étude approfondie des accords de performance collective. Consultés avec l’autorisation de la Dares, dans le cadre du comité d’évaluation des ordonnances du 22 septembre 2017 piloté par France Stratégie, l’étude de ces accords aux contours et aux effets sans précédent a permis de confirmer leur déconnexion par rapport au maintien de l’emploi, de signaler de nombreux usages à la limite de la légalité et de pointer des difficultés juridiques majeures.

L’évolution de ces accords dans la pratique, dans des contextes économiques variables, tout comme l’enjeu du contrôle de ces accords, qui reste à construire sur le terrain jurisprudentiel, constituent des perspectives de recherche stimulantes. Plus largement, interroger les régimes de réorganisations de façon articulée, tel que le suggère la perspective défendue dans la thèse, ouvre des pistes pour analyser l’imbrication croissante de ces différents dispositifs, observée dans la pratique.

PL : Cette thèse ouvre de belles perspectives de recherche. Nommée Maitre de conférences à l’Institut du travail de Strasbourg, Hélène Cavat aura l’occasion de développer de nouvelles recherches à l’avenir sur des questions en lien avec sa thèse, mais aussi sur d’autres questions, notamment de droit comparé puisque parmi ses très nombreuses qualités, Hélène Cavat est trilingue français-allemand-anglais. 
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