Prix de thèse LW

Prix de thèse 2020


Laurent WILLOCX

Laurent Willocx: « Réalisme et rationalités de la législation relative aux ouvriers et à ceux qui les emploient. 1791-1841. Contribution à une critique du droit du travail », sous la direction de Sylvaine Laulom, soutenue à l'université Lyon II en décembre 2019 

Regards croisés de Sylvaine Laulom et Laurent Willocx: 
Une intuition qui mène à un renouvellement de la compréhension de l’essence du droit du travail
Pourquoi ce sujet de thèse ?

Laurent Willocx : Initialement le sujet de thèse était « le réalisme du droit du travail ». Il avait été élaboré par M. Antoine Jeammaud. L’expression « réalisme du droit du travail » avait vocation à rendre compte de certaines caractéristiques classiquement prêtées au droit du travail contemporain, tenant à la prétendue proximité de cette branche du droit avec l’empirie socio-économique. Le choix d’une approche historique est venu très tard.

Sylvaine Laulom : Schématiquement, à l’origine, la recherche devait ainsi porter sur « le réalisme » et sur ses expressions en « droit du travail », le sujet a ensuite évolué. C’est le propre, je crois, de tout travail de thèse : à partir d’une première intuition, la recherche mène à des résultats qui n’étaient et ne pouvaient pas être prévus.

L. W. : Le choix de l’approche historique dérive de ma volonté de croiser le discours sur le réalisme du droit du travail avec le discours sur les rationalités du droit. Ce dernier, inspiré des œuvres de Max Weber et de Michel Foucault, et porté en France par M. Alain Supiot notamment, explique les caractéristiques du droit du travail en les rapportant aux évolutions historiques de la rationalité du droit. A suivre ce discours, le réalisme du droit du travail proviendrait d’une rupture dans la théorie et la pratique du droit, rupture dont le moment 1900 serait le siège : avant ce moment, le droit n’aurait pas été réaliste ; depuis, il le serait devenu. C’est précisément cette idée reçue, largement partagée dans les cercles travaillistes et au-delà, que ma thèse réfute. Je démontre que tout ce qui justifie que l’on parle de réalisme à propos du droit du travail aujourd’hui se retrouve dans celui d’hier. Je fais ainsi revisiter à mon lecteur certains monuments de l’histoire législative française, en les faisant apparaître sous un jour – je l’espère – nouveau. Parmi ces monuments, je retiens en particulier la loi Le Chapelier de 1791, la loi du 22 Germinal an XI et le Code civil de 1804, et enfin la loi de 1841 sur le travail des enfants.

Quel est, selon vous, l'apport de la thèse au droit ?

L. W. : L’apport à la connaissance du droit est double : conceptuel et empirique. En effet, je propose une clarification de la signification de l’expression « réalisme », en distinguant plusieurs concepts. La grille conceptuelle ainsi élaborée est applicable à tout ordre juridique ou segment d’ordre juridique, passé ou présent. De ce point de vue, mon travail intéresse toutes celles et tous ceux qui prennent le droit pour objet de leurs réflexions : juristes privatistes et publicistes, historiens et comparatistes, mais aussi théoriciens, philosophes, sociologues et économistes du droit. Sur le plan  
empirique ensuite, ma thèse parle d’une période singulièrement méconnue du droit du travail, la fin du XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe siècle ; elle révèle le réalisme de la législation française relative aux ouvriers et à ceux qui les emploient produite entre 1791 et 1841. Je démontre ainsi que le droit du travail a toujours été réaliste.

S. L. : La thèse démontre en effet le réalisme du droit du travail dès ses origines lointaines à la fin du XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe siècle, avant même qu’une branche « droit du travail » n’ait été créée, aux temps de la révolution et du code civil, soit en des temps supposés être les plus éloignés du réalisme, parce que gouvernés par les idées d’individu abstrait, de la loi générale pour tous et de délibération politique à prétention universelle. La thèse de M. Willocx contribue ainsi non seulement à la connaissance d’une période du droit du travail peu étudiée en général mais également et surtout elle constitue un apport à la compréhension de l’essence du droit du travail contemporain et elle offre ainsi une clef de lecture des orientations actuelles.

Quelles perspectives de recherche cette thèse ouvre-t-elle pour l'avenir ?

S. L. : La plus évidente serait la poursuite de l’analyse historique au-delà de 1841, l’application de la grille conceptuelle sur le réalisme à d’autres domaines, etc. Au-delà, je dirais que les perspectives de recherche ouvertes sont avant tout méthodologiques, car la thèse montre l’immense intérêt d’une approche qui mêle les disciplines, dès lors qu’elles sont maitrisées. Le ou la doctorant.e en droit qui s’engage dans un travail interdisciplinaire sait qu’il ou elle va au-devant de grandes difficultés : difficultés méthodologiques bien sûr, difficultés institutionnelles surtout. Du moins il ou elle le croit. A tort, sans doute, puisque l’AFDT récompense cette année une thèse qui a fait le choix périlleux de l’interdisciplinarité. Je ne peux donc que remercier l’association d’avoir récompensé ce travail original.

L. W. : L’approche interdisciplinaire du droit du travail n’a rien d’une pratique de recherche innovante : elle peut se revendiquer d’une tradition méthodologique qui remonte aux premiers temps de l’étude de la législation industrielle. Elle manifeste un certain réalisme dans l’appréhension savante de cette législation. L’histoire de ce réalisme-là, qui commence là où s’achève ma thèse (autour de 1840, avec la création de la première chaire de législation industrielle au CNAM), reste à écrire.

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