Dialogue 8

Quel dialogue social en temps de crise ?


François ASSELIN
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Président de la CPME
La crise sanitaire a bouleversé nos façons de travailler. Le dialogue social a dû se réinventer. Dès l’annonce brutale du premier confinement, nos habitudes de travail et de communication ont été bousculées. A fortiori, ces changements ont été observés dans les entreprises dont l’activité a été suspendue ou celles qui ont recouru massivement au télétravail. 

Tout d’abord, les réunions à distance se sont banalisées avec nos clients, nos fournisseurs et même à l’égard des partenaires sociaux et des salariés. Ce cataclysme qu’a constitué la crise sanitaire, a néanmoins été un formidable tremplin technologique avec l’installation de la « visio » dans le travail et dans le cadre du dialogue social avec nos élus et délégués syndicaux. Qui aurait pu imaginer l’année dernière, organiser de telles réunions à distance ? 

"Tout d’abord, les réunions à distance se sont banalisées avec nos clients, nos fournisseurs et même à l’égard des partenaires sociaux et des salariés"
Les PME ont su s’adapter, et cette crise a malgré tout amélioré nos compétences digitales, avec de nouvelles façons de communiquer à distance avec nos représentants du personnel ou les délégués syndicaux. Il n’en reste pas moins que rien ne remplace les échanges humains directs. Un dialogue se tient certes autour de la table, mais il se construit aussi par des échanges informels spontanés. 

Ceci dit, je tiens à souligner le dynamisme du dialogue social, tant au niveau interprofessionnel qu’au niveau des branches, que la réunion à distance n’a pas freiné. J’en veux pour preuve que la CPME a participé à deux négociations cette année qui se sont toutes deux conclues par deux accords : l’une sur le télétravail et l’autre sur la santé au travail; des accords au plus proche des préoccupations des salariés. Et les branches ne sont pas en reste, avec des accords sur l’activité partielle de longue durée et des discussions sur les fiches métiers et les protocoles santé et sécurité. 


"Ceci dit, je tiens à souligner le dynamisme du dialogue social, tant au niveau interprofessionnel qu’au niveau des branches, que la réunion à distance n’a pas freiné"
Sur les sujets abordés avec les partenaires sociaux, nous avons adapté nos discussions. Dans les PME, les réunions ont majoritairement porté sur les conséquences de la crise sur nos activités et les discussions ont été, dans un premier temps, à l’essentiel. Les autres sujets, pourtant d’actualité dans les entreprises avec les partenaires sociaux, ont été parfois reportés. Nous pouvons nous interroger sur le fait de savoir si cette crise a démontré que le dialogue social gagnerait en efficacité à être plus recentré sur la vie de l’entreprise et sur les préoccupations immédiates des salariés. 

Replaçons-nous au printemps dernier. Il ne faut pas oublier la solitude dans laquelle le chef d’entreprise s’est retrouvé à la suite des décisions brutales qui avaient des conséquences écrasantes sur son entreprise. Le 16 mars 2020, pour beaucoup de PME, en baissant le rideau, de nombreuses questions sont apparues avec peu de réponses en face. 

Le chef d’entreprise s’est trouvé isolé avec, à nouveau, une prise de risque inédite dans les réponses qu’il devait apporter. Quelles activités pouvaient persister ? Comment protéger ses salariés en présentiel contre la Covid-19 ? Quelles allaient être les ressources de l’entreprise ? Quel avenir pour l’entreprise et son dirigeant ? Quelles discussions engager avec les élus ? etc.

"Nous pouvons nous interroger sur le fait de savoir si cette crise a démontré que le dialogue social gagnerait en efficacité à être plus recentré sur la vie de l’entreprise et sur les préoccupations immédiates des salariés"
Un dialogue social simplifié en temps de crise

Le chef d’entreprise a dû arrêter des décisions, seul et dans l’urgence, d’autant plus qu’il n’avait pas les moyens de réunir les élus en présentiel. Les salariés, comme les partenaires sociaux, ont été informés simultanément de leur avenir immédiat et de la nouvelle organisation qu’allait déployer l’entreprise. Ainsi, des consignes sanitaires strictes s’imposaient pour protéger les salariés tout en maintenant l’activité de l’entreprise dans les meilleures conditions possibles. Pour la première fois, sur des décisions aussi importantes, le chef d’entreprise a simplement informé les partenaires sociaux, alors que la prudence de la « vie d’avant » aurait exigé une consultation.

L’Etat lui-même a pris conscience de cette situation exceptionnelle en autorisant l’employeur à ne consulter ses élus que postérieurement à ses décisions, violant par là même la sacro-sainte « information préalable ».

Cette absence de consultation n’a pas entraîné à notre connaissance de difficultés dans les PME. Seules quelques affaires très médiatisées ont révélé des désaccords bloquants comme Amazon, un grand groupe international. A la CPME, nous avons le sentiment que les salariés et les partenaires sociaux ont été solidaires de leur chef d’entreprise, durant cette année de crise inédite. 

A l’heure de la tempête, l’entrepreneur doit continuer à tenir la barre. Pour maintenir le bateau à flot, les chefs d’entreprise ont rapidement vu sur qui compter. Bien évidemment, les élus restent un pivot indispensable pour rassurer le chef d’entreprise dans ses décisions, puis accompagner les salariés dans leur mise en œuvre. 

Pour autant, cette crise a révélé un décalage entre deux systèmes :
  • La période de croisière, avec un pavé d’obligations imposées par le Code du Travail qu’un dirigeant de PME ne peut appliquer sans crainte du délit d’entrave, à moins de l’aide avisée d’un conseil expert en la matière tant les dispositions sont complexes ;
  • La période de crise, avec l’efficacité d’un dialogue social simplifié allant à l’essentiel et une information élargie à l’ensemble des salariés. 

La diminution de l’activité a aussi ralenti la fréquence des réunions « officielles » des CSE. 

Au chapitre des regrets, on peut sans doute ajouter de n’avoir pas été suffisamment accompagné par les intervenants habituels que sont les médecins du travail et les inspecteurs du travail. Ces derniers auraient eu là une occasion unique de se positionner en accompagnateurs des entreprises, plutôt qu’en contrôleurs. 

Un cadre légal du dialogue social devenu déconnecté de l’entreprise ?

A l’évidence, pendant cette période, les échanges ont été recentrés, reléguant à l’arrière-plan les discussions certes rendues obligatoires par le Code du Travail, mais qui en réalité semblaient déconnectées pour les salariés, inquiets sur le devenir de leur entreprise et de leur emploi.  

Cette liberté retrouvée dans les échanges avec un formalisme allégé n’a-t-elle pas démontré que le dialogue social, tel qu’il est construit par le législateur, est devenu par sa complexité et son volume, déconnecté de la vie de l’entreprise, sans compter le temps qui doit y être consacré ? Cette question peut aussi se poser vis-à-vis des salariés eux-mêmes qui restent bien souvent indifférents aux sujets traités par leurs représentants, constat corroboré par la baisse du taux de syndicalisation en France.

Mais l’heure de l’union sacrée est terminée. Déjà, des problématiques héritées de cette crise émergent comme les congés payés acquis pendant des longues périodes d’activité partielle, ou encore les incertitudes de la reprise de l’activité, à l’heure où plane la menace d’un nouveau confinement.

Si jusqu’à présent, en général, les partenaires sociaux ont fait corps avec la PME qui les emploie, le conflit social pourrait couver si l’emploi ne peut plus être maintenu. Cependant, la question du rôle des partenaires sociaux continue d’interroger. 

Pour cette nouvelle année 2021, le vœu du chef d’entreprise est bien de trouver un vrai partenaire permettant à l’entreprise de traverser la crise dans les meilleures conditions. Le biais est parfois de continuer à raisonner avec le filtre pourtant périmé de lutte des classes, qui nuit autant à la PME qu’aux salariés représentés. Dans une PME, le dialogue social est constant et se construit au quotidien entre le chef d’entreprise et les salariés. Leurs intérêts sont communs. Opposer les uns aux autres serait un non-sens ! 


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