Providence 2

Quel avenir pour l'Etat providence après la crise du coronavirus ?


QUEL AVENIR POUR L'ETAT PROVIDENCE APRÈS 
LA CRISE DU CORONAVIRUS ?

La modification - temporaire ? - du champ d'application personnel 
des assurances sociales au Japon
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Yojiro SHIBATA
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Professeur adjoint à l'Université de Chukyo

On observe d’ores et déjà des modifications de l'État-providence au Japon… comme en France, me semble-t-il.
La plupart des universités donnent des cours en ligne, et non pas en présentiel afin de limiter la propagation du COVID-19. De leur propre initiative, elles ont décidé de réduire ou d’exempter de droit de scolarité (beaucoup plus élevés qu’en France) les étudiants qui auraient des difficultés financières dues à la pandémie et de leur accorder une aide financière. Le fondement de ces engagements réside dans l’article 26 de la Constitution japonaise qui prévoit le « droit de recevoir une éducation ». Jusqu’à présent, on le comprenait comme celui des « enfants » (enseignement obligatoire), mais notre Constitution le garantit également aux étudiants.

De plus, certains étudiants ont perdu leur emploi (bon nombre d’entre eux travaillent à temps partiel même pendant la période des cours), car les gouverneurs de préfecture ont « demandé » à la plupart des employeurs, surtout dans la restauration, de fermer (à la différence de la France, la loi japonaise en la matière ne peut pas forcer la fermeture des magasins ou encore des restaurants, mais la pression sociale a été tellement forte que beaucoup d’entreprises l’ont fait). Au regard de la situation, le Ministère de l'Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et des Technologies a décidé d’accorder une aide financière (1 600 euros au maximum) au nom de la « poursuite des études », aux étudiants qui souffrent de cette détresse économique. L’article 26 de la Constitution japonaise encore ? Oui, mais également l’article 25 de la Constitution japonaise. Ce dernier prévoit le « droit de maintenir un niveau de vie minimal, d’être sain, et cultivé » : c’est le droit de « subsistance ». Jusqu’à maintenant, on le comprenait comme quelque chose de réservé aux indigents, et la majorité des étudiants n’a jamais pris conscience qu’il pouvait s’appliquer à eux aussi. C’est ainsi que nous avons vu reconnaître nos droits à recevoir une éducation et à subsister. Ironiquement, c’est la crise épidémique qui nous a fait réaliser une nouvelle fois la présence de l'État-providence.

Alors, quelles ont été les mesures prises par le Ministère de la Santé, de l’Emploi et des Affaires sociales ? De quelle manière influencent-elles l'État-providence, notamment le système de protection sociale ?

Pour mieux le comprendre, résumons brièvement ses caractéristiques. Le système japonais de protection sociale est axé, comme en France, sur les assurances sociales selon les catégories socio-professionnelles et, surtout au Japon, sur les deux régimes principaux relatifs aux assurances maladie et aux pensions : les régimes pour les salariés et ceux pour les résidents incluant les indépendants. Le système japonais se différencie du système français en ce qu’il existe une grande différence de niveau de prestation entre les salariés et les indépendants. En outre, la qualification d’assuré du régime des salariés se limite aux salariés « réguliers », tandis que les salariés « précaires » s’affilient au régime pour les résidents. Les assurances accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) et chômage sont réservées, par définition, aux salariés, et les indépendants sont exclus de leur champ d’application. Les salariés « précaires » peuvent bénéficier de l’assurance AT-MP, alors qu’ils peuvent le faire difficilement pour l’assurance chômage en raison des conditions d’affiliation et d’attribution de ces allocations.

"Les mesures prises par le Ministère de la Santé, de l’Emploi et des Affaires sociales en raison du COVID-19, pourraient métamorphoser le système japonais de protection sociale axé sur les seuls « salariés » « réguliers »"
Les mesures prises par le Ministère de la Santé, de l’Emploi et des Affaires sociales en raison du COVID-19, pourraient métamorphoser le système japonais de protection sociale axé sur les seuls « salariés » « réguliers ».

D’abord, en ce qui concerne les salariés précaires, nous avons déjà observé l’élargissement du champ d’application personnel de l’assurance chômage lors de la faillite de Lehman Brothers. Avec les réformes de la loi sur l’assurance chômage en 2009 et 2010, la durée de travail continu nécessaire pour l’assuré a été raccourcie sensiblement d’un an à 31 jours en deux ans. Grâce à elles, l’assurance chômage s’applique aux salariés précaires qui n’avaient pas de filet de sécurité dans le cadre des assurances sociales. Cette fois-ci, le champ d’application du chômage partiel a été étendu (mesure spéciale qui va jusqu’au 30 septembre). Financé par les cotisations patronales de chômage, il s’est étendu aux salariés précaires qui cessent leur activité temporairement même s’ils ne remplissent pas les conditions d’assurés de l’assurance chômage.

Ensuite, qu’en est-il des indépendants ? Nous avons créé une subvention pour les parents qui prennent des congés pour s’occuper de leurs enfants dans l’enseignement primaire (mesure spéciale qui va jusqu’au 30 septembre). Car, le 27 février, le Premier ministre a « demandé » (là encore) soudainement la fermeture de tous les établissements d'enseignement primaire, collèges et lycées à partir du 2 mars. Au début, la mesure avait été réservée aux parents-salariés, mais elle a été étendue depuis aux « parents-freelance » sous certaines conditions, suite à la critique sévère du fait qu’ils ne pouvaient en bénéficier, bien qu’ils travaillent également en élevant leurs enfants. Pourtant il n’est pas facile d’étendre aux indépendants la politique d’emploi destinée aux salariés ; il est vrai que nous discutons beaucoup aujourd’hui des activités que réalisent les travailleurs à la tâche, les employés des plateformes pour les assimiler à des travailleurs salariés et pendant longtemps, il a été logique de réserver cette subvention aux salariés, car elle est financée par les cotisations chômage. Cependant, elle a pu être étendue aux indépendants au nom d’une politique exceptionnelle due au coronavirus (et est financée par le budget général).

"De ces réformes introduites pour les salariés précaires et indépendants, on peut déduire qu’en temps de crise, il n’est pas forcément difficile de mettre en place des politiques qui le sont en temps ordinaire puisque la nécessité l’emporte sur la raison"
De ces réformes introduites pour les salariés précaires et indépendants, on peut déduire qu’en temps de crise, il n’est pas forcément difficile de mettre en place des politiques qui le sont en temps ordinaire puisque la nécessité l’emporte sur la raison. C’est le choc de la crise qui métamorphose le cadre du système. Nous devons observer le développement des politiques pour les salariés précaires, et les indépendants sans oublier les étudiants, même après la fin de ces mesures spéciales.
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