Providence 14

Quel avenir pour l'Etat providence après la crise du coronavirus ?


QUEL AVENIR POUR L'ETAT PROVIDENCE APRÈS 
LA CRISE DU CORONAVIRUS ?
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Christophe WILLMANN
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Professeur de droit à l'Université de Rouen

L’activité partielle (chômage partiel) souffre de maux identifiés depuis longtemps : ignorée, voire méprisée par la doctrine ; malmenée par le législateur et les média (qui n’arrivent même pas à la désigner sous son appellation correcte), critiquée par les partenaires sociaux (qui n’y voient qu’une aide aux employeurs versée par l’Etat, en réponse à un chantage à l’emploi) : la crise sanitaire pourrait changer sensiblement cette perception ; et devrait également changer ses principes et son architecture.

L’activité partielle, profondément remaniée en temps de crise sanitaire – Depuis la déclaration d’état de crise sanitaire (L. n° 2020-290 du 23 mars 2020), le législateur a mis en place deux mécanismes de soutien aux entreprises, placées dans l’incapacité de satisfaire à leur obligation de fournir du travail : 

Premier mécanisme, inédit, et pris en charge par la branche maladie : le versement d’une indemnité journalière spécifique destinée aux salariés en responsabilité de leurs enfants (les caisses de sécurité sociale se substituent donc à l’employeur, dans le versement d’un salaire, en versant une IJ) ; ou aux personnes vulnérables dans l’impossibilité de télétravailler ; 

Second mécanisme, déjà bien connu : l’activité partielle, profondément remaniée (suppression du caractère préalable de la demande de l’employeur auprès de la Direccte ; suppression de l’autorisation de la Direccte pour la mise en activité partielle des salariés protégés ; quasi suppression du contingent annuel ; suppression du caractère forfaitaire de l’aide versée par l’Etat aux entreprise, s’élevant désormais à 70 % du salaire ; élargissement des bénéficiaires de l’activité partielle, puisque l’aide de l’Etat est assurée jusqu’à 4.5 Smic). 

La liste des innovations dans le régime de l’activité partielle est longue : elle témoigne de la volonté de l’Etat et des partenaires sociaux (puisque l’Unédic est co-financeur de l’activité partielle) d’améliorer la prise en charge des coûts salariaux, en principe assurés par l’employeur, au nom de la lutte contre le chômage. L’activité partielle répond, en effet, à un objectif d’« amortisseur » de crises (climatiques, économiques, désormais sanitaires), de garantie d’emploi (les entreprises s’engagent à ne pas licencier, en contrepartie de quoi les coûts salariaux sont pris en charge par l’Etat et l’Unédic). Mais faut-il s’en satisfaire ?

"La liste des innovations dans le régime de l’activité partielle est longue : elle témoigne de la volonté de l’Etat et des partenaires sociaux d’améliorer la prise en charge des coûts salariaux"
L’activité partielle, l’exigence de contreparties – L’aide de l’Etat et des partenaires sociaux était, jusqu’à présent, encadrée par plusieurs dispositifs : l’autorisation donnée par la Direccte (préalable) à la mise en activité partielle des salariés ; l’avis donné par les représentants du personnel ; le contrôle renforcé de la Direccte, dès lors qu’un salarié protégé faisait l’objet d’une mesure d’activité partielle ; la modestie du montant de l’aide versée par l’Etat aux entreprises, en soit, rendait le dispositif modérément attractif ; la possibilité de contreparties exigées des entreprises, mais uniquement à partir d’une seconde demande d’autorisation d’activité partielle. 

On le voit, le seuil d’exigence était des plus modestes :

L’accord donné par la Direccte était donné quasi systématiquement : la Direccte se contentant, de fait, de vérifier seulement que l’entreprise rentre bien dans les cas de recours définis par les textes (listés à l’art. R. 5122-1 C. trav.,). 

L’effort financier de prise en charge des coûts salariaux pèse exclusivement sur l’Etat/Unédic (hier, aide forfaitaire ; depuis la crise sanitaire, calculée en pourcentage, soit 70 %), l'employeur n'étant pas tenu de verser un revenu de remplacement au moins égal au salaire (sauf si un accord de branche ou d’entreprise en dispose autrement ; sauf pour les salariés rémunérés au SMIC) ;

"améliorer la prise en charge des coûts salariaux, en principe assurés par l’employeur, au nom de la lutte contre le chômage"
Désormais, l'activité partielle s'impose au salarié protégé, sans que l'employeur n'ait à recueillir son accord (Ord. n° 2020-346 du 27 mars 2020).
L’engagement de l’employeur, en termes de garanties d’emploi (suspendre mais ne pas résilier les contrats de travail), est limité dans le temps, celui de l’autorisation donnée par la Direccte de mise des salariés en activité partielle. Au-delà de cette période, l’employeur retrouve toute sa liberté de résiliation, la garantie d’emploi ne joue plus.

Ce seuil d’exigence est d’autant moins élevé que l’Etat accorde à l’entreprise un double soutien : financier (lequel couvre la quasi-intégralité des coûts salariaux, le reste à charge étant faible, de 30 % du salaire à 0 %, selon la situation de l’entreprise et l’existence d’accords de branche ; sauf pour les salariés rémunérés au SMIC) et juridique (puisque l’employeur, par l’autorisation de mise en activité partielle, est autorisé par l’Etat à suspendre ses obligations contractuelles de fournir du travail, le salarié se voyant ainsi privé de la faculté d’invoquer une modification d’un élément essentiel de son contrat de travail : bref, la suspension de l’obligation de fournir du travail n’est plus fautive).

"le débat sur la contrepartie, déjà engagé et analysé par la doctrine (juristes, économistes) depuis quelque temps, dans le champ des aides à l’emploi (subvention, exonérations de charges sociales, …) mérite d’être posé, s’agissant de l’activité partielle"
Aussi, le débat sur la contrepartie, déjà engagé et analysé par la doctrine (juristes, écono-mistes) depuis quelque temps, dans le champ des aides à l’emploi (subvention, exonérations de charges sociales, …) mérite d’être posé, s’agissant de l’activité partielle. Le principe s’impose de lui-même, par décence serait-on tenté d’écrire, premièrement, eu égard à l’importance des efforts consacrés (plus de 25 Mds € en 3 mois, de mars à mai 2020) par l’Etat et l’Unédic ; deuxièmement, par analogie aux aides accordées par l’Etat dans ce même contexte de crise sanitaire, les termes de l’échange étant très variables (réduction des dessertes nationales pour Air France ; production de voitures électriques, pour Renault ; renonciation aux dividendes …). 

D’où la proposition suivante, initiée et sous réserve de sa validation/faisabilité/étude de sa pertinence :

- supprimer l’exigence actuelle de contreparties aux seules entreprises multi demandeuses d’une aide, et l’élargir au contraire à toutes les entreprises, dès la première demande d’aide à l’activité partielle déposée par une entreprise (nouvelle réd. de l’art. R 5122-9 du code du travail) ; 

- élargir l’objet et la nature des engagements à des matières autres que l’emploi, par exemple des engagements sociétaux, environnementaux (…) (nouvelle réd. de l’art. R 5122-9) ;

- consacrer une clause de retour à meilleure fortune : rembourser à l’Etat les sommes versées au titre de l’activité partielle, si l’activité de l’entreprise redevient florissante, après X mois/années ;

- supprimer la limite d’un an à l’obligation de réembauche à la charge des employeurs, consécutive à un licenciement pour motif économique (C. trav., art. L 1233-45) dans l’hypothèse spécifique où le licenciement serait consécutif à une mise en activité partielle.


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