Providence 10

Quel avenir pour l'Etat providence après la crise du coronavirus ?


QUEL AVENIR POUR L'ETAT PROVIDENCE APRÈS 
LA CRISE DU CORONAVIRUS ?
___________

Jeremias ADAMS-PRASSL
______
Professeur de droit à l'Université d'Oxford

Un enjeu majeur pour la protection sociale est la définition du champ d’application des règles. La crise du Covid 19 a montré l’impérieuse nécessité de protéger les travailleurs des plateformes, en poussant le monde du Gig vers un point de rupture : le travailleur des plateformes est à risque élevé de contamination au Covid 19 (1) . Les conseils officiels donnés aux travailleurs sont clairs (2)  : « isolez-vous si vous ressentez des symptômes. Ne vous rendez au travail qu'avec l’équipement de protection approprié. Maintenez la distance sociale à tout moment ». Pour les travailleurs de la gig economy, cela est plus facile à dire qu'à faire : l’auto-isolement est rarement financièrement viable, le travail à domicile étant impossible, tout comme la distanciation sociale.
 
Prenons d'abord l'auto-isolement. Les salariés ont droit à une rémunération, même lorsqu'ils sont malades. Il est facile de s'isoler lorsque l’on n'a pas à se soucier de la continuité des salaires – un luxe que les « entrepreneurs indépendants » n'ont pas. Il en va de même pour le travail à domicile : les personnes à faibles revenus sont particulièrement touchées. Une récente enquête menée par des économistes d’Oxford, Zurich et Cambridge montre la corrélation entre les gains et la capacité de travailler à domicile. Les travailleurs avec moins de 20 000 $ US sont deux fois moins susceptibles de pouvoir faire leur travail à domicile que ceux qui ont des revenus de plus de 40 000 $ US (3). 

"A long terme, la seule solution durable et efficace réside dans la diversification des risques - c'est précisément ce qu'offre traditionnellement le statut de l’emploi"
Changer les marées

Alors que la pandémie se prolonge, nombre d'options ont émergé : certaines plateformes déploient des livraisons sans contact (4), interviennent pour apporter une aide financière à leurs travailleurs (5)  et fournissent des équipements de protection - même si ce n'est pas toujours volontaire (6).

Ce sont des correctifs prometteurs à court terme. Mais leur durabilité à plus long terme est discutable. Les indemnisations accordées par les plateformes à leurs travailleurs touchés par le Covid 19 ont été critiquées pour leur « insuffisance » (7), et les travailleurs manquent de précautions de sécurité (8) . Les régimes publics d'aide aux travailleurs indépendants prennent beaucoup trop de temps (9) pour effectuer les versements aux travailleurs les plus précaires avec en outre un risque d’impossibilité de financement sur le long terme.
 
A long terme, la seule solution durable et efficace réside dans la diversification des risques - c'est précisément ce qu'offre traditionnellement le statut de l’emploi (10) . Reconnaître que les travailleurs des plateformes sont des salariés est maintenant plus important que jamais.

"Une façon de remédier à cette situation serait d'éroder complètement les différences et (au moins pour certains droits) d'accorder une protection égale à tous, quel que soit leur statut"
Même avant l'avènement de la crise, la marée avait déjà commencé. Les derniers mois ont connu une vague de contentieux juridiques à travers le monde, que ce soit la promulgation d'AB5 en Californie (11) ou la série de décisions de tribunaux supérieurs en Europe. Mais compte tenu du contrôle strict exercé par les plates-formes sur tous les éléments de la fourniture de produits et de services, juges et législateurs rejettent de plus en plus la qualité de travailleurs indépendants. 

Le temps est-il arrivé de dépasser les divisions binaires ?

Pour traiter la question du statut des travailleurs des plateformes, il faut une refonte encore plus radicale. Comme je l'ai fait valoir dans le cadre de mon travail avec Judith Freedman et Abi Adams, les taxonomies juridiques existantes en droit du travail, droit fiscal et de la sécurité sociale peuvent souvent être un autre moteur des problèmes du marché du travail (12). Une façon de remédier à cette situation serait d'éroder complètement les différences et (au moins pour certains droits) d'accorder une protection égale à tous, quel que soit leur statut. Les régimes actuels de soutien financier qui ont été mis en place au Royaume-Uni en sont une parfaite illustration : alors qu'au départ, le soutien financier n'était accessible qu'aux salariés (13), après de nombreuses pressions publiques, le Gouvernement a annoncé la mise en place d’un programme similaire pour les travailleurs indépendants (14). 

"Toute suggestion selon laquelle les droits du travail sont intrinsèquement incompatibles avec la flexibilité est un mythe qui, à l'époque du COVID-19, est dangereux pour nous tous"
Assurer des règles du jeu équitables

Les travailleurs ne seront pas les seuls à y trouver avantage ; l'avantage sera aussi pour les consommateurs. En outre, les travailleurs indépendants pourront cesser de travailler lorsqu’ils seront malades, contrairement à la situation actuelle. Il faut arrêter de considérer que l’application du droit du travail est contraire à l’innovation. Toute suggestion selon laquelle les droits du travail sont intrinsèquement incompatibles avec la flexibilité est un mythe qui, à l'époque du COVID-19, est dangereux pour nous tous. 




  (12) A Adams, J Freedman et J Prassl , «Rethinking Legal Taxonomies» (2018) 34 Oxford Review of Economic Policy, 475.

Share by: