Dialogue 6

Quel dialogue social en temps de crise ?


Philippe MARTINEZ
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Secrétaire général de la CGT
Dans notre pays, le dialogue social est souvent évoqué. Parfois pour dire qu’il est nécessaire, souvent pour dire qu’il est insuffisant en comparaison notamment de ce qu’il se fait ailleurs en Europe. Depuis l’élection d’Emmanuel MACRON, cette expression de « dialogue social » a peu à peu glissé en « concertation ». Pour autant, les organisations syndicales (et bien d’autres acteurs) sont souvent mises devant le fait accompli de décisions prises ailleurs. Cela permet au patronat d’accentuer le lobbying sur l’exécutif pour obtenir des concessions et des mesures favorables. Le gouvernement lorsqu’il y a une négociation collective exige par avance un résultat contraint, à l’instar de celles sur l’assurance chômage où la lettre de cadrage imposait d’arriver à une économie de 3 milliards d’euros ! Ceci laissait peu de place aux propositions et solutions alternatives ! Suite à l’échec inévitable de ces discussions, la conclusion d’Emmanuel MACRON fut de dire : « le dialogue social ne fonctionne pas dans notre pays, le gouvernement doit reprendre la main et agir ». On peut malheureusement multiplier ce genre d’exemple.

"Si les réunions « officielles » entre ministères, patronat et syndicats se sont multipliées, elles n’ont été globalement que des chambres d’enregistrement de décisions gouvernementales, ne pouvant être modifiées qu’à la marge. Ces décisions sont issues notamment de conseils, de défense sanitaire par exemple, et cela en dehors de tous débats démocratiques"
La période de crise telle que nous la vivons depuis près d’un an, n’a fait qu’accentuer l’ensemble de ces phénomènes. Si les réunions « officielles » entre ministères, patronat et syndicats se sont multipliées, elles n’ont été globalement que des chambres d’enregistrement de décisions gouvernementales, ne pouvant être modifiées qu’à la marge. Ces décisions sont issues notamment de conseils de défense sanitaire par exemple, et cela en dehors de tous débats démocratiques. Durant cette même période, tout le monde a constaté les nombreuses réunions qui ont eu lieu à Bercy entre le ministre de l’Economie et différentes branches du patronat. On l’a vu pour le commerce et la grande distribution, afin d’adapter les décisions et mesures aux besoins et demandes du patronat.

Le recours quasi-systématique à des experts dits « indépendants » économiques ou sociaux caractérise la défiance vis-à-vis des organisations syndicales de salariés. Cela rejoint la théorie du président de la République sur la non représentativité des corps intermédiaires dans lesquels il classe les syndicats. Si nous ne nions pas nos difficultés d’implantation, principalement dans les petites et moyennes entreprises, personne ne peut nous opposer notre connaissance, notre « expertise » des problématiques liées au travail qu’elles soient économiques, sociales, voire environnementales. Elle se construit sur la base de notre réseau d’élus et militants, d’entreprises et de services, de notre structure locale de proximité qui nous permet de côtoyer quotidiennement, des milliers de personnes de tout horizon.

Il n’y a donc pas fondamentalement de différences dans la conception d’un dialogue social riche, constructif mais surtout loyal, en temps de crise en comparaison d’autres périodes. Cette crise sanitaire a mis en exergue les disfonctionnements de notre démocratie sociale et des relations entre « partenaires sociaux ». On peut les concevoir différemment dans les fréquences des échanges qui doivent certes être renforcés ou dans la nature des problématiques posées. La crise sanitaire que nous traversons, est évidemment tout à fait inédite mais a des conséquences économiques et sociales à l’échelle de la planète.

"Plus que jamais, en temps de crise, le principe de loyauté de la négociation se doit d’être exemplaire. Ainsi, une négociation devrait pouvoir être entamée sur un thème porté par des organisations syndicales, et être présentée par des experts issus du monde syndical, ou encore un texte pourrait être produit par un ou des syndicats. De même une négociation devrait pouvoir se dérouler dans les locaux d’un syndicat ou dans un lieu neutre"
Dès le mois de Juin 2020, la CGT a présenté un plan de sortie de crise avec des mesures et des propositions à courts et moyens termes. Un plan en rupture avec les politiques économiques et sociales menées depuis des années dans notre pays mais prenant en compte des thèmes d’actualités comme la place de l’industrie, des services publics et de la santé, les transports... en y intégrant la dimension écologique et les enjeux environnementaux. Il a été remis au président de la République, au Premier Ministre de l’époque et à différents Ministres. Aucune suite n’y a jamais été donnée.

Plus que jamais, en temps de crise, le principe de loyauté de la négociation se doit d’être exemplaire. Ainsi, une négociation devrait pouvoir être entamée sur un thème porté par des organisations syndicales, et être présentée par des experts issus du monde syndical, ou encore un texte pourrait être produit par un ou des syndicats. De même une négociation devrait pouvoir se dérouler dans les locaux d’un syndicat ou dans un lieu neutre. Cela devrait être la règle. Or, tel n’est pas le cas car en réalité, c’est le Medef qui a systématiquement la main sur le contenu et le déroulement des négociations.

Durant ces mois de crise, le principe des guides de bonnes pratiques, indicatifs et non contraignants, avec peu ou sans valeurs juridiques s’est multiplié en lieu et place d’accords interprofessionnels normatifs. C’est ce qui s’est fait dans la mise en place des nombreux protocoles sanitaires dans les entreprises et services où l’économie a primé sur la santé.

"Nous avons constaté durant cette année, les difficultés rencontrées au sein des CSE malgré des alertes sur les questions sanitaires, les problèmes liés au déplacement des élus et représentants des syndicats dans les périodes de confinement ou de couvre-feu. Enfin, la suppression des CHS/CT a démontré l’absurdité et les conséquences d’une telle décision dans une période où les questions de santé, de sécurité mais aussi d’organisation et de conditions de travail, ont été au cœur de débats tant au niveau de l’entreprise qu’au niveau national"
Cette période a également posé en grand, la question des droits et moyens pour les représentants des salariés, leurs liens avec leurs collègues. Cette question s’est trouvée renforcée dans les conditions du confinement et du télétravail.

Nous avons constaté durant cette année, les difficultés rencontrées au sein des CSE malgré des alertes sur les questions sanitaires, les problèmes liés au déplacement des élus et représentants des syndicats dans les périodes de confinement ou de couvre-feu. Enfin, la suppression des CHS/CT a démontré l’absurdité et les conséquences d’une telle décision dans une période où les questions de santé, de sécurité mais aussi d’organisation et de conditions de travail, ont été au cœur de débats tant au niveau de l’entreprise qu’au niveau national.

Cette période difficile et inédite que nous traversons aurait pu, et pourrait encore être, l’occasion de repenser la façon d’appréhender l’avenir en favorisant un dialogue social plus ouvert et conçu de façon plus démocratique. Un dialogue qui ne se construit pas de façon unilatérale, ou de façon verticale mais dans des débats qui ne ferment aucune piste de réflexion, ni aucunes propositions alternatives. En fait, c’est la question de la conception de la démocratie sociale qu’il faut revoir. Une démocratie qui ne remet pas en cause la légitimité des élus politiques et de l’exécutif mais qui respecte également la légitimité des organisations syndicales, elle-même issue des urnes dans les entreprises et les services.


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