Dialogue 5

Quel dialogue social en temps de crise ?


Cyril CHABANIER
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Président de la CFTC
Pour la CFTC, la réponse à cette question ne varie pas que l’on soit en temps de crise, ou en temps dit « normal ». Le dialogue social est avant tout le chemin qui mène à la construction sociale. Il est vrai que la crise sanitaire a mis à l’épreuve le dialogue social que ce soit par sa brutalité, son ampleur inédite ainsi que par ses impacts économiques et sociaux. Au début de cette crise sanitaire, un dialogue social d’urgence que l’on peut qualifier « de réaction » s’est imposé. Il s’est exercé au niveau institutionnel entre les partenaires sociaux et le gouvernement pour bâtir la règlementation d’urgence. Il s’est bien sûr aussi exercé au niveau des entreprises entre les élus et les directions. 

Si, à l’échelle de l’entreprise, les partenaires sociaux ont souvent su être à la hauteur de la dimension à bien des égards historique de cette crise, force est de constater que le dialogue s’est aussi, parfois, établi dans des conditions difficiles. Des décisions unilatérales ont été prises par des directions sur la base des réglementations d’urgence, pas toujours claires et cohérentes. Certains de nos élus ont éprouvé la sensation de se voir réduits à une simple chambre d’enregistrement d’urgence en étant plus informés que véritablement consultés. La mise en place de l ‘activité partielle en constitue le parfait exemple. Etablir les ponts de contact avec la direction mais également la communauté de travail « explosée » du fait des différents statuts des uns et des autres (télétravail, présentiel, activité partielle, arrêt maladie ...) a été le premier défi de nos élus. Nous avons aussi dû faire face en quelque sorte à une révolution dans nos pratiques du dialogue social, avec des réunions virtuelles qui se sont vite imposées faute de pouvoir faire autrement, là, où nous avions une culture de réunions en présentiel avec les directions. Le dialogue social en distanciel a changé le travail des élus. Les temps de débats sont forcément plus courts, plus cadrés, plus lisses. L’informel, la communication non verbale, les intersyndicales, les réunions préparatoires, et autres bilatérales sont des codes du dialogue social, propres aux réunions présentielles que l’on a du mal à reproduire en distanciel.

"Certains de nos élus ont éprouvé la sensation de se voir réduits à une simple chambre d’enregistrement d’urgence en étant plus informés que véritablement consultés. La mise en place de l ‘activité partielle en constitue le parfait exemple"
Mais le dialogue social « dématérialisé » a aussi révélé des avantages. Le fait de devoir respecter une certaine discipline dans la prise de parole limite les interventions à l’essentiel, la souplesse du « dématérialisé » permet aussi d’organiser des réunions très rapidement. Certaines entreprises établissent des ponts de communication, d’information quasi quotidiens. Une réactivité rendue possible avec l’outil numérique ! Une fois la crise sanitaire passée, ces changements auront forcément des conséquences sur la pratique du dialogue social de demain. Une des nombreuses questions à se poser sera par exemple : Pourquoi refuser l’accès à une réunion du CSE à des suppléants quand celle-ci est en visio conférence ? 

Outre la digitalisation, la crise sanitaire a mis en avant de manière flagrante les faiblesses des ordonnances travail de 2017, déjà relevées avant la crise. Cette réforme visait à améliorer le dialogue social de proximité en faisant la part belle à la négociation d’entreprise pour aller au plus près des salariés, ce qu’on appelle couramment « la primauté de l’accord d’entreprise ». 
"Une fois la crise sanitaire passée, ces changements auront forcément des conséquences sur la pratique du dialogue social de demain. Une des nombreuses questions à se poser sera par exemple : Pourquoi refuser l’accès à une réunion du CSE à des suppléants quand celle-ci est en visio conférence ?"
Dans les faits, les CSE d'établissements (quand ils existent, la plupart des entreprises ayant choisi de mettre en place un CSE unique) se sont retrouvés affaiblis par rapport au CSE central de l'entreprise, notamment avec la remontée vers le siège des compétences économiques et stratégiques. En réduisant le nombre d'instances et de mandats, le dialogue social de proximité a été fortement diminué. Il faut ajouter à cela, le fait qu’en termes de moyens dévolus aux instances, les entreprises ont, là aussi, opté pour le minimum légal, le dialogue social constituant trop souvent à leurs yeux un coût à rationaliser. Ces moyens qui permettaient à peine de faire fonctionner les instances en temps normal se sont avérés largement insuffisants en temps de crise économique. Les ordonnances Travail offraient une belle opportunité de créer un dialogue social sur mesure adapté aux besoins de chaque entreprise, ce fut un rendez-vous manqué tant pour les représentants des salariés que pour les directions d’entreprise. Nous devrons tirer les enseignements de cette première mise en place des CSE, à la lumière des insuffisances accentuées par la crise pour réajuster les équilibres lors de leur renouvellement. 

"En réduisant le nombre d'instances et de mandats, le dialogue social de proximité a été fortement diminué. Il faut ajouter à cela, le fait qu’en termes de moyens dévolus aux instances, les entreprises ont, là aussi, opté pour le minimum légal, le dialogue social constituant trop souvent à leurs yeux un coût à rationaliser"
Il est à craindre que le dialogue social « post crise sanitaire » voit se multiplier les PSE, RCC et autres dispositifs de crise. Pour espérer en sortir ensemble et par le haut, le CSE et le dialogue social qu’il induit actuellement ne le permettront pas. Les obligations d'information, de consultation, doivent aller beaucoup plus loin. Pour l'instant, elles n'obligent pas l'employeur à prendre en compte les recommandations et les avis du CSE. Les attributions du CSE doivent donc évoluer sur les questions aussi stratégiques qui touchent l’emploi des salariés. Pour ces sujets, il est, pour la CFTC, nécessaire de recourir à un avis conforme, mais pour cela il faudra une évolution du code du travail. La place des administrateurs salariés dans les conseils d’administration là où sont avalisés tous les projets de restructuration des entreprises doit aussi être renforcée. Il est nécessaire que les administrateurs salariés aient accès aux comités techniques qui, en amont, sont les lieux où sont débattus les projets qui seront entérinés au conseil d’administration. 

La crise impacte également énormément les négociations des délégués syndicaux. Elle sert même parfois d'aubaine, puisqu'y compris dans des secteurs peu touchés par la crise, on constate une accentuation des PSE et autres réorganisations. Les accords de performance collective (APC), intronisés comme élément phare des ordonnances travail de 2017, ont vu leur nombre augmenter fortement depuis la crise de la COVID. Sur un total de 513 APC conclus, plus d’une centaine l’ont été pendant la crise sanitaire, et il est fort probable que le recours aux APC va encore s’intensifier. Ces accords qui peuvent impacter la rémunération, l’organisation du temps de travail et sa durée ainsi que la mobilité géographique ou professionnelle, ne prévoient aucun garde fous ou contreparties obligatoires dans la loi telle que la clause de retour à meilleure fortune, ou la garantie d’emploi. Il est nécessaire de sécuriser les droits des salariés dans ce dispositif en faisant évoluer ce cadre légal afin qu’il soit plus protecteur. 

Pour finir, je dirai que le dialogue social est assurément la clé pour la sortie de crise mais pour cela, il faudra lui en donner les moyens !

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