Dialogue 3

Quel dialogue social en temps de crise ?


Laurent MUNEROT
______
Président de l'Union des entreprises de proximité  (U2P) *
Tout le monde s’accorde à dire que le dialogue social est essentiel pour le bon fonctionnement et le développement d’une entreprise. En effet, salariés et chefs d’entreprise doivent se fédérer autour d’un projet commun qu’est l’activité de l’entreprise pour que ce projet prospère. Cette cohésion est d’autant plus importante que le nombre de salariés dans l’entreprise est restreint.

L'ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective a d’ailleurs introduit la possibilité pour les chefs d’entreprises de moins de 20 salariés et dépourvues de représentation syndicale et de représentation du personnel, de présenter à leurs salariés des projets d’accord qui doivent être ratifiés par la majorité des deux tiers pour être valides. Certes, cela implique le respect d’une certaine procédure et est beaucoup moins facile à mettre en œuvre dans nos entreprises que la simple décision unilatérale mais les employeurs s’emparent de plus en plus de ce dispositif : près de 28 000 accords ont été conclus dans les entreprises de moins de 50 salariés. Le succès est toutefois à nuancer au regard des 4 millions de TPE-PME.

Pour autant, les chefs d’entreprise des TPE-PME n’ont pas attendu cette ordonnance pour instaurer un dialogue avec leurs salariés. Ce dialogue social est adapté aux spécificités des entreprises de proximité qui sont exacerbées en temps de crise.

Hors crise, le dialogue social y est peu formel pour deux raisons principales. 

En premier lieu, le rapport qu’entretient un chef d’entreprise avec son ou ses salariés est basé avant tout sur l’humain. Un salarié qui rencontre des difficultés dans sa vie personnelle ne peut mobiliser au mieux ses compétences et cela s’en ressent immédiatement sur la productivité de l’entreprise. Aussi, le chef d’entreprise se doit d’être vigilant à l’état d’esprit dans lequel se trouve le salarié.
"une TPE est rarement dotée en interne d’un service de ressources humaines et le chef d’entreprise dispose en général de compétences correspondant au cœur de métier de l’entreprise et n’a pas forcément de connaissances en matière RH. Aussi, un dialogue social plus formel nécessite automatiquement un accompagnement et par voie de conséquence un investissement financier en sus du temps que doit consacrer le chef d’entreprise au projet concerné"
En deuxième lieu, une TPE est rarement dotée en interne d’un service de ressources humaines et le chef d’entreprise dispose en général de compétences correspondant au cœur de métier de l’entreprise et n’a pas forcément de connaissances en matière RH. Aussi, un dialogue social plus formel nécessite automatiquement un accompagnement et par voie de conséquence un investissement financier en sus du temps que doit consacrer le chef d’entreprise au projet concerné. 

Un investissement n’est absolument pas neutre en période de crise économique lorsque l’activité a connu un ralentissement ou un arrêt total pendant plusieurs mois. Malgré les aides de l’Etat (report et exonérations de cotisations, fonds de solidarité, activité partielle,…), les entreprises ont dû puiser dans leur trésorerie pour assurer notamment le reste à charge de l’indemnité d’activité partielle.  

Compte tenu de ces spécificités, le dialogue social est formellement mis en œuvre à deux autres niveaux.

Au niveau des commissions paritaires régionales, comme les CPRIA (1)  et les CPR-PL (2), instances de dialogue social au niveau territorial où salariés et employeurs de TPE partagent les informations, débattent et rendent des avis utiles en matière notamment de conditions de travail et de santé au travail. 

C’est tout naturellement qu’elles ont accompagné les entreprises de proximité durant la crise en leur proposant des services d’accompagnement RH, en sensibilisant les autorités locales aux difficultés rencontrées par les TPE ou en participant à l’action « Objectif Reprise » mise en œuvre au niveau régional permettant ainsi une adéquation entre les besoins du terrain et l’appui proposé notamment en matière d’organisation du travail, de dialogue social ou de protocole sanitaire…

Au niveau des branches professionnelles qui ont la possibilité de négocier des accords en matière de congés payés, d’individualisation de l’activité partielle, ou d’activité partielle de longue durée (APLD) entre autres, permettant ainsi aux entreprises de s’adapter à la baisse d’activité ou à son arrêt total sans licencier.

Hors crise, la négociation au niveau de la branche professionnelle est essentielle pour les TPE : elle assure les fonctions de régulation économique (en déterminant des règles communes de concurrence) et sociale (en définissant un socle commun en termes de rémunération, de formation, de prévoyance…). 

Pendant une crise économique, ce niveau de négociation devient incontournable car les partenaires sociaux des branches professionnelles accompagnent les chefs d’entreprise et les salariés des TPE entre autres, pour surmonter les difficultés qui peuvent être propres à chaque secteur. Une entreprise du bâtiment n’est pas soumise aux mêmes contraintes qu’un restaurant, qu’un coiffeur ou qu’un cabinet médical. 

Je conclurai sur deux points de vigilance que cette crise a, à mon sens, mis en exergue.

"Le premier concerne l’urgence absolue de prendre en compte toutes les spécificités des entreprises de proximité : on comprend qu’un accord de branche puisse nécessiter des adaptations au niveau des entreprises, comme c’est le cas pour les accords APLD. Pour autant, les éléments d’adaptation, s’ils nécessitent un accompagnement, rendent le dispositif peu mobilisable par les TPE pour les raisons évoquées plus tôt. Et cela prive ces entreprises d’une chance de surmonter la crise"
Le premier concerne l’urgence absolue de prendre en compte toutes les spécificités des entreprises de proximité : on comprend qu’un accord de branche puisse nécessiter des adaptations au niveau des entreprises, comme c’est le cas pour les accords APLD. Pour autant, les éléments d’adaptation, s’ils nécessitent un accompagnement, rendent le dispositif peu mobilisable par les TPE pour les raisons évoquées plus tôt. Et cela prive ces entreprises d’une chance de surmonter la crise.

Le second point de vigilance concerne la composition des branches professionnelles. Certaines négociations en matière d’APLD mettent en évidence la nécessité de restructurer les branches sur la base de critères communs dont la taille de l’entreprise, ou, en tout état de cause, de préserver la voix des TPE, sous peine que les entreprises de proximité ne subissent les termes d’une négociation qu’elles ne maîtrisent pas ou qu’elles déposent le bilan si la négociation n’aboutit pas. Le chantier est encore en cours, il n’est pas trop tard.


*L’U2P est constituée de 4 organisations membres (CAPEB, CGAD, CNAMS et UNAPL) et d’une organisation associée (CNATP) et recouvre ainsi les champs du Bâtiment (CAPEB), de l’alimentation en détail (CGAD), des métiers de fabrication et de services (CNAMS), des professions libérales (UNAPL) et des Travaux publics et du paysage (CNATP). L’U2P représente 4 millions de TPE-PME soit 99% des entreprises françaises.
(1) CPRIA : Commission paritaire régionale interprofessionnelle de l’artisanat
(2) CPR-PL : Commission paritaire régionale des professions libérales

Share by: