Dialogue 10

Quel dialogue social en temps de crise ?


Laurent BERGER
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Secrétaire général de la CFDT
Une crise n’est jamais unidimensionnelle. Quelle qu’en soit son origine, ses conséquences sont généralement très diverses et les intérêts percutés variés. Pour construire des réponses équilibrées et acceptées largement, le dialogue social est indispensable. La crise que nous traversons en a, une fois de plus, révélé la nécessité. 

Cette crise a apporté la preuve que le dialogue social permettait de prendre en compte toute la complexité d’une situation et de construire des solutions adaptées. Lorsque le confinement a débuté, les entreprises se sont très vite interrogées sur la manière de concilier la protection de la santé des travailleurs avec la reprise de l’activité. Pour aménager les conditions de travail au mieux, la participation des salariés et de leurs représentants s’est vite révélée déterminante. Qui serait plus à même de proposer des évolutions du travail que les salariés qui le vivent au quotidien ? Plus de 10 000 accords de reprise d’activité ont été signés et la Dares, par ses études, nous a prouvé que les entreprises avec une culture du dialogue social bien ancrée ont été les plus résilientes. Deux exemples peuvent illustrer cette situation, deux entreprises sensiblement de même dimension situées à 40 km l’une de l’autre. D’un côté, Toyota, qui a joué la carte du dialogue social et où la direction a travaillé avec les organisations syndicales à une reprise d’activité en douceur. De l’autre, Amazon, où la direction a voulu passer en force. Malgré les alertes des organisations syndicales, Amazon a imposé des conditions de travail qui mettaient la santé des travailleurs en danger. Le tribunal de Nanterre a fini par faire suspendre temporairement l’activité de cette entreprise en France. Le dialogue social n’est ni un frein, ni un obstacle à l’efficacité économique, bien au contraire.
"Malgré les alertes des organisations syndicales, Amazon a imposé des conditions de travail qui mettaient la santé des travailleurs en danger. Le tribunal de Nanterre a fini par faire suspendre temporairement l’activité de cette entreprise en France. Le dialogue social n’est ni un frein, ni un obstacle à l’efficacité économique, bien au contraire"
Dans cette période incertaine, économiquement comme socialement, les entreprises auraient tort de se passer du dialogue social. Toute comme l’Etat ou les décideurs publics auraient tort de se priver de l’expertise des acteurs sociaux et économiques. Là encore, cette crise nous l’a rappelé. Dans ses premiers mois, alors que nous étions tous dans l’inconnu total, l’Etat s’est appuyé sur les partenaires sociaux pour renforcer la réponse publique. Nous avons fait connaitre la situation (très variée) des travailleurs, nous avons alerté lorsque certains étaient livrés à eux-mêmes, nous avons fait des propositions pour combler ces lacunes. Ce dialogue a par exemple permis la mise en place de l’activité partielle pour les salariés des particuliers employeurs, la création d’une aide aux ménages les plus pauvres, d’un plan jeunes, la suspension du jour de carence dans les fonctions publiques puis récemment dans le privé...

Pour une efficacité des réponses publiques comme privées, l’implication des acteurs de terrain est indispensable. Elle l’est, d’autant plus, que la société peut se tendre au fur et à mesure que les conséquences de cette crise se feront sentir. Alors que la crise accentue les inégalités, le dialogue social est au contraire, un facteur de cohésion sociale.  

Cette épidémie a bousculé le travail et son organisation. Pour une partie de la population, le télétravail s’est imposé et parfois dans des conditions très dures (manque d’espace et de matériel adapté, surcharge de travail ou au contraire sentiment d’inutilité, empiètement sur la vie privée...). Les questions de santé au travail sont également revenues sur le devant de la scène. Pour faire face à ces nouvelles réalités, les partenaires sociaux se sont mis autour de la table pour définir des principes communs. Les deux accords nationaux interprofessionnels sont maintenant à décliner dans les branches et les entreprises. Les directions qui essaieront d’avancer unilatéralement sur ces questions cruciales pour les travailleurs se heurteront à de l’inefficacité et à des blocages.
"Alors que la crise accentue les inégalités, le dialogue social est au contraire, un facteur de cohésion sociale"
Autre sujet susceptible de créer de fortes tensions : l’emploi. Pour, d’un côté, préserver l’emploi et les compétences des salariés et, de l’autre, permettre aux entreprises de préparer la reprise en investissant sur l’avenir, nous avons obtenu la création du dispositif d’Activité partielle longue durée (APLD). Un dispositif protecteur pour les entreprises et les salariés et qui doit faire l’objet de négociations entre la direction et les représentants des salariés. Environ 6000 accords d’APLD ont été conclus à ce jour, preuve de son succès. La Branche des bureaux d’études a, par exemple, conclu un accord type prévoyant qu’en cas d’APLD il n’était plus possible de recourir à un PSE ni de verser des dividendes aux actionnaires. La branche est d’ailleurs un niveau indispensable de dialogue social pour protéger tous les travailleurs d’un même champ professionnel, y compris des petites entreprises. C’est à ce niveau que nous devons avancer pour assurer une plus juste reconnaissance des « travailleurs des secondes lignes ».

"Nous constatons tous une certaine fatigue démocratique. Le dialogue, la considération et l’implication du plus grand nombre permettront de retrouver la confiance nécessaire à la construction d’un avenir commun"
Le dialogue social réunit des acteurs a priori éloignés autour d’un même objectif. C’est un vrai exercice démocratique, un autre atout à ne pas sous-estimer dans la période. Défiance, perte de confiance dans les institutions collectives... Nous constatons tous une certaine fatigue démocratique. Le dialogue, la considération et l’implication du plus grand nombre permettront de retrouver la confiance nécessaire à la construction d’un avenir commun. Le dialogue social, par l’engagement de ses acteurs dans la mise en œuvre de solutions partagées, ce n’est pas qu’une question de méthode. C’est aussi un modèle démocratique qui reconnaît, au sein du monde du travail, des intérêts contradictoires et leur permet de se confronter dans la recherche d’un compromis utile à tous. 

L’entreprise doit prendre sa part dans la diffusion de cette culture démocratique. Cette crise nous a montré à quel point elle était dépendante de ses travailleurs mais également de son environnement et de l’action publique (infrastructures, aides publiques en cas de coups durs...). Toutes ses composantes et ses parties prenantes devraient pouvoir prendre part aux grandes décisions qui les concernent. Faisons le pari de l’intelligence collective.

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