Dialogue 1

Quel dialogue social en temps de crise ?


Gilles BELIER
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Avocat honoraire
Devons nous à la pandémie le ralentissement de la course folle vers la restructuration des branches et la mise à l’écart, temporaire ou non, du rapport Ramain ?

Est-il possible de s’en réjouir ou faut il alors se compter parmi les ultraconservateurs de notre système de négociation collective ?

Les éléments connus du projet présenté par son auteur ne sont pas en cause, tant ce qui a émergé contient d’analyses fines des questions posées par ce mouvement de restructuration des branches professionnelles. Ce qui est profondément en cause, de notre point de vue, c’est la rigidité du postulat posé (principalement la recherche d’un objectif chiffré) et la relative précipitation selon laquelle cette perspective devait se traduire dans les faits, dans un domaine où les évolutions progressent lentement et où la souplesse face à la diversité des situations doit l’emporter sur les choix généraux et, parfois, arbitraires.

Parmi les questions posées, certaines sont relatives au processus de rapprochement lui-même (I), d’autres, à l’élaboration des mandats et à la signature des accords de branche (II). 
"La réduction du nombre de conventions collectives en France ainsi que l’élargissement de la couverture conventionnelle du plus grand nombre de salariés constitue un des axes permanent de la politique du travail depuis plusieurs dizaines d’années"
I)

a) La réduction du nombre de conventions collectives en France ainsi que l’élargissement de la couverture conventionnelle du plus grand nombre de salariés constitue un des axes permanent de la politique du travail depuis plusieurs dizaines d’années.

Pour autant, ce mouvement, amplifié par la loi du 5 mars 2014, ne constitue pas une fin en soi et doit s’effectuer avec rigueur en maintenant au cœur de la branche professionnelle la notion de « profession », la similarité de l’organisation économique et des sources de revenu des secteurs regroupés ainsi que la cohérence dans les métiers et les emplois dominant dans les nouveaux champs conventionnels.

A défaut, ce qui constitue sans doute un progrès dans l’ « organisation » de la négociation collective comporterait sa propre contradiction en éloignant à l’excès la branche des entreprises encourageant ainsi la recherche d’un plus petit commun dénominateur social entre les professions réunies dans un ensemble manquant alors de cohérence. Ainsi, le regroupement artificiel de branches de tailles très diverses, regroupant des métiers avec des intitulés proches mais des contenus en réalité très différents, des activités économiques et des marchés du travail connaissant des tensions divergentes et regroupant des fédérations syndicales et patronales d’origines diverses peut difficilement constituer un modèle cohérent pour le développement d’un dialogue social de qualité.

Cela est d’autant plus vrai que beaucoup de « petites » branches ont pour adhérents des petites et moyennes entreprises. Que devient alors la proximité nécessaire pour accomplir l’une des fonctions essentielles de la négociation collective : l’amélioration négociée des conditions de travail et d’emploi des salariés des TPE et des PME dépourvues de présence syndicale en leur sein ? Les textes applicables ne paraissent guère adaptés à la bonne gestion de ce mouvement.

b) Aujourd’hui, le Ministre du travail peut intervenir, éventuellement de manière autoritaire à défaut d’accord entre plusieurs branches vers un regroupement volontaire lorsque certains critères non cumulatifs sont remplis (art. L 2261-32, I du Code du travail) et dès lors que ces branches « présentent des conditions sociales et économiques analogues » :

- Lorsque la branche compte moins de 5000 salariés ;
- Lorsque la branche a une activité conventionnelle faible ;
- Lorsque la branche est uniquement régionale ou locale ;
- Lorsque moins de 5% des entreprises de la branche adhèrent à une organisation professionnelle représentative des employeurs ;
- En l’absence de mise en place ou de réunion de la commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation ;
- En l’absence de capacité à assurer effectivement la plénitude de ses compétences en matière de formation professionnelle et d’apprentissage ;
- Afin de renforcer la cohérence du champ d’application des conventions collectives, critère écarté par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 29 novembre 2019 comme laissant une latitude excessive au Ministre du travail dans l’appréciation des motifs susceptibles de justifier la fusion, puisqu’aucun élément légal ne limite une telle analyse pouvant s’opposer parfois à la liberté contractuelle.

Il apparaît que la difficulté caractérisant un excès de rigidité au détriment de la nécessaire proximité réside dans l’absence de cumul nécessaire entre ces critères. Une ou plusieurs branches qui cumuleraient l’ensemble de ces critères devraient sans doute intégrer un ensemble plus vaste écartant ces différents manques. En revanche, le seul critère de la taille par exemple, alors que l’ensemble des autres critères seraient exclus, paraît quelque peu bureaucratique. Ceci incite à militer pour un cumul même partiel de ces indicateurs pour envisager une fusion « administrée » entre plusieurs branches professionnelles, les fusions volontaires demeurant toujours libres, bien évidemment. Un accord majoritaire, voire unanime, au sein d’une branche pour ne pas être fusionnée autoritairement pourrait d’ailleurs appuyer la pertinence du maintien de la branche concernée en l’état.
"l’excès dans la recherche à tout pris de l’atteinte d’un objectif chiffré au-delà de la réalité de la négociation collective se heurte nécessairement a) à la difficulté de l’élaboration des mandats de négociation et b) à la difficile question de la signature d’une convention ou d’un avenant dans un nouveau champ où aura expiré la représentativité réelle"
Par ailleurs, l’excès dans la recherche à tout pris de l’atteinte d’un objectif chiffré au-delà de la réalité de la négociation collective se heurte nécessairement a) à la difficulté de l’élaboration des mandats de négociation et b) à la difficile question de la signature d’une convention ou d’un avenant dans un nouveau champ où aura expiré la représentativité réelle

II)

a) Les difficultés liées à la formation des mandats et à la notion de représentativité.
Un des points majeurs de la pratique de la négociation collective réside dans l’analyse de la formation des mandats de négociation.
Pour les entreprises, cette élaboration est relativement simple dans la mesure où elle s’inscrit dans la suite de la gestion de paramètres économiques et sociaux intégrés à la politique de l’entreprise. Elle peut donner lieu à des divergences mais celles-ci se résolvent dans la décision finale des décisionnaires au sein de l’entreprise.

Dans les branches, le problème est plus complexe même au sein des délégations d’employeurs qui représentent autant d’entités que de membres dans la délégation qui participe à la construction du mandat de négociation. Les intérêts et les préoccupations peuvent diverger. De plus, les représentants des plus grandes entreprises entendent garder la main sur leurs négociations internes et ne souhaitent pas que la négociation de branche vienne perturber leurs propres négociations. Les représentants des plus petites entreprises sont bien sûr réticents à tout ce qui peut constituer une charge nouvelle, qui plus est imposée de l’extérieur. Plus le périmètre des « professions » ou des activités concernées sera large, plus l’élaboration de ce mandat sera tirée vers le plus petit commun dénominateur et plus il sera difficile pour les organisations syndicales de salariés d’effectuer une quelconque pression pour faire évoluer les textes conventionnels.

Du côté des organisations syndicales de salariés, l’élaboration du mandat est tout aussi complexe, ce que ne mesurent d’ailleurs que très rarement les négociateurs employeurs. Le pluralisme syndical ne facilite d’ailleurs pas toujours les choses pas plus que le poids des appareils. Les négociateurs de branche sont parfois plus enclins à signer un accord que ce que préconise leur Fédération. Le mandat syndical dont disposent les négociateurs procède en effet des bases syndicales, mais tout autant des logiques de revendication des organisations qui les ont mandatés. Là encore, l’élargissement non raisonné des champs d’application conventionnels, fondé essentiellement sur un nombre de branches à atteindre, est source de difficultés supplémentaires dans cette régulation sophistiquée.

Reste alors la question de la signature des accords de branche : en apparence, elle ne se pose pas trop pour les organisations syndicales de salariés, encore que l’appartenance à telle ou telle Fédération syndicale ne soit pas toujours indifférente à l’appétence de signature. De même, les changements de taux de représentativité syndicale dans des secteurs élargis sont de nature à modifier significativement la nature du dialogue social dans une branche naguère autonome.

 Il en va autrement s’agissant des organisations professionnelles d’employeurs.

b) Qui signe pour qui ?

Pour appréhender cette question, prenons un exemple simple. Deux branches fusionnent volontairement pour ne créer qu’une seule convention collective. Le champ d’application est alors unifié. La représentativité des organisations syndicales est mesurée dans le nouveau champ et celui des organisations syndicales d’employeurs également. Pour autant, les organisations syndicales représentent l’ensemble des salariés mais les organisations professionnelles d’employeurs continuent à défendre les intérêts de leurs mandants. Que se passera-t-il en cas de désaccord entre les organisations d’employeurs sur la signature par exemple d’un accord salarial annuel ? Pour les organisations syndicales, la réponse est simple. Une organisation patronale représentative dans le champ a signé, l’accord s’applique à toutes les entreprises du champ conventionnel. Ceci se conçoit bien lorsque les organisations d’employeurs interviennent dans le même secteur d’activité économique. Il en va autrement lorsque du fait d’un rapprochement mal anticipé, la nature des activités économiques est par trop différente ou quand une des activités regroupe un certain nombre de grandes entreprises et que l’autre concerne un grand nombre de TPE/PME.

"Il est clair que tôt ou tard ces difficultés se traduiront par une tendance à rechercher, là encore le plus petit commun dénominateur sauf à espérer, peut être avec une certaine naïveté, que l’organisation d’employeur la plus « ouverte » entrainera ainsi un secteur plus frugal vers de nouveaux horizons"
Il est clair que tôt ou tard ces difficultés se traduiront par une tendance à rechercher, là encore le plus petit commun dénominateur sauf à espérer, peut être avec une certaine naïveté, que l’organisation d’employeur la plus « ouverte » entrainera ainsi un secteur plus frugal vers de nouveaux horizons.

Formation du mandat de négociation, légitimité à hiérarchiser les composantes de ce mandat sont en lien consubstantiel avec la représentativité. A trop élargir les champs de la représentativité, cette légitimité sera érodée au détriment des bénéficiaires premiers de la négociation collective de branche. La primauté discutable de la négociation d’entreprise en sortira renforcée et chacun connait, en particulier pour les salariés des TPE/PME, largement majoritaires en France, les conséquences vraisemblables d’un tel choix.


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